Berlin est un album culte, chef-d’oeuvre absolu d’une discographie solo pour le moins chaotique mais toujours intransigeante. Revenir sur sa genèse ne servirait à rien ici. Enregistré en 1973 — soit moins d’un an après le non moins immense Transformer, le disque de la consécration post-Velvet –, recelant des morceaux définitifs comme “Berlin”, “Caroline Says I & II”, “The Kid” ou “Sad Song”, Berlin est une perle noire qui, subrepticement, happe l’auditeur dans son antre, ne le recrachant que marqué au fer rouge par l’expérience traversée. Pour autant, Lou Reed ayant une conscience aiguë de l’impact de son oeuvre, a pris pour habitude de ne jamais se retourner en arrière et de continuer à déstabiliser son monde, empruntant des chemins radicaux alors que tout lui souriait, essuyant parfois un flot quasi-ininterrompu de critiques — l’épisode sanglant de Metal Machine Music (1975). Jouant avec le sentiment d’attraction-répulsion qu’il provoque immanquablement à chacune de ces rencontres journalistiques, fort d’une histoire musicale unique, prescient et volontiers méprisant, il a souvent parlé publiquement de son passé avec force provocation. Ce n’est donc qu’au travers de sa discographie éparse qu’il faut lire son attachement intime à son histoire, notamment via ses concerts enregistrés — Songs For Drella en 1993, vibrant hommage à Warhol en duo avec l’ennemi intime John Cale. C’est donc sans grande surprise que l’on apprenait la relecture sur scène de son disque le plus important. Pour autant, si on imagine aisément l’émotion en assistant à ce spectacle unique, sa retranscription live nous laisse de marbre. Si la voix diabolique du corbeau n’a pas changé, ses chansons se voient gratifiées de soli poussifs, de choeurs artificiels, d’arrangements plats et manquent cruellement de la douleur qui les caractérise tant dans leur version d’origine — même les pleurs d’enfants de “The Kid” ont été mal ré-enregistrés. Il ne reste donc qu’à se replonger dans Berlin, l’original, pour ne plus en émerger.
– Son site officiel