On aimerait bien se payer les méchants The Killers, ces tueurs professionnels de la bande FM. Une surprenante remise en question sur ce troisième opus, à leur échelle bien sûr, mais tout de même notable.


“Are we human, or are we Dancer ?” tel est le dilemme (Kamel) Oualien tout en second degré posé par Brandon Flowers sur le single “Human”, fronde dance-rock actuellement omniprésente sur toutes les fréquences radio du globe. The Killers nous avaient habitués à plus attilesque en matière de premier single, ce dernier étant à peine sauvé par son texte piquant. Depuis leur explosion planétaire en 2004, le porte-parol(i)e(r) des tueurs de Vegas ne craint pas de tourner en dérision son statut de prophète rock star, à l’instar jadis d’un Bono revêtant la panoplie d’un Macphisto. Si le charisme du quatuor fait toujours défaut, il n’empêche que leur chanteur issu d’une famille mormon peut parfois, en conteur inspiré et caustique, être touché par la grâce (“Somebody Told Me”, « Mr Brightside », “Read My Mind”).

Pour la franchise musicale, ce n’est pas un secret, The Killers entretient communément avec les poids lourds irlandais une certaine faiblesse pour l’emphase épique et les mélodies taillées pour les colisées. Le tout saupoudré de claviers parrainés par New Order, alchimie au carton programmé s’il en est, pour aguicher les pistes de danse. Sans surprise, ce troisième album continuera à faire grincer des dents des réfractaires à cette pop ultra-calibrée, tout autant qu’il ravira les âmes conquises. Et pourtant, dans une certaine mesure, cette propension agaçante à couler du refrain bétonné, trop évidente dirons-nous pour nos oreilles averties, gagne sur ce troisième opus en subtilité. The Killers nous la joue moins putassière, conscient peut-être que la roue ne vas pas tarder à tourner.

La production hier viscéralement rock d’Alan Moulder laisse place aujourd’hui, avec Stuart Price aux commandes (ex les Rythmes digitales, Madonna), à une tonalité clavier/pop plus sophistiquée, dont les références eighties se veulent tout autant ironiques qu’assumées (Talking Heads, Pet Shop Boys, Depeche Mode…). En écartant les deux trois tubes évidents du cahier des charges — ici la ballade piano/orchestra exténuante A “Dustland Fairytale”, ou encore “Spaceman” et “This Is Your Life” aux gimmicks vocaux sangsues –, Day & Age (visez la modestie du titre, quand même) s’efforce à prospecter de nouveaux territoires à sa pop dansante. Quelques prises de risques exotiques — un solo de saxo ténor et des marimbas sur “I Can’t Stay”, un “Joy Ride” chipé à David Byrne — démontrent que l’empreinte et l’érudition musicale de Stuart Price furent décisives dans le processus créatif. Il y a même sur la dernière plage une chanson pas très jojo, “Goodnight, Travel Well”, avec une progression d’accords claviers lugubres à faire pendre Ian Curtis (comment ? c’est déjà fait ?).

Alors même que les pronostics s’avéraient tendus après Sawdust, compile de face B qui sentait la panne sèche d’inspiration, The Killers berne son monde en alignant leur plus solide collection de pop songs à ce jour. Ce serait après tout la force de ces outsiders de luxe, réputés aussi conservateurs (autant politiquement que culturellement), créer chaque fois la surprise quand nous n’attendions plus grand-chose de leur part. Un groupe capable de reprendre le “Why Don’t You Find Out For Yourself” de Morrissey et couvert de louanges par Rufus Wainwright a forcément encore quelques cartes à jouer. Autant d’aspects qui cultivent l’ambiguïté de cette formation aussi intrigante que mal ajustée.

– Le site de The Killers