À l’instar d’Andrew Bird et consorts, ces anglais prouvent qu’une voix et des cordes sont les meilleurs amis de la pop.


De The Whites Stripes à Liars, en passant par Battles et The Dodos, la batterie a récemment été aux premières loges. Mais il lui arrive aussi de se faire oublier sans que l’on ait vraiment à le lui reprocher. Quand les baguettes cessent de battre la mesure et que les cordes reprennent alors à leur compte la cadence, le résultat s’avère tout aussi digne d’intérêt, sinon plus. Owen Pallett (Final Fantasy) ou Andrew Bird l’ont déjà démontré avec un indéniable talent. The Miserable Rich s’y attelle également avec un premier album de pop douce-amère dans lequel violons, violoncelle, contrebasse et guitares acoustiques constituent les principaux ressorts instrumentaux de chansons radieuses et pudiques qui ont la bonne idée de cacher leur gueule de bois. Sans taper du poing, en jouant d’une combinaison généreuse de cordes tendues et de larmes rentrées, ce collectif de Brighton, qui ne cache pas son attachement à la musique de Colin Blunstone, revendique une modestie musicale tempérée par la richesse des arrangements déclinés. Que la batterie s’efface (ce qu’elle fait littéralement sur le premier morceau où les balais l’assimilent d’emblée à la délicatesse d’un effleurage), et c’est la légèreté qui se voit couronner sans fard. Pour échapper quelques minutes à une vie plombée par le dur labeur de vivre, remettre sur le métier quelques beautés élémentaires et vitales : des voix, des instruments boisés, quelques claquements de mains. Rien de plus. Il est des misères consenties pleines de richesses.

À l’origine, les cinq musiciens principaux qui composent The Miserable Rich sont issus de diverses formations. Will Calderbank (violoncelle) et James de Malplaquet (chant) forment depuis 2006 le duo Grape Authority, Mike Siddell (violon) a été aperçu chez Hope of the States, Kate Walsh et Lightspeed Champion, tandis que Jim Briffett (guitare) a joué en compagnie de Clearlake et Rhys Lovell (contrebasse) a évolué avec plusieurs groupes d’obédience pop ou jazz. En outre, gravite sur Twelve Ways To Count une quinzaine de musiciens juste de passage qui apposent ici ou là une touche instrumentale ou vocale discrète. Clarinette, guitares additionnelles, percussions, piano, beatbox, choeurs mixtes interviennent ainsi avec parcimonie, comme sur « Poodle » où les savoureuses notes de trompette situées vers la fin du morceau, qui passeront facilement inaperçues lors d’une écoute distraite, font partie de ses détails parsemés tout au long du disque qui le rendent à la fois touchant et précieux.

En l’absence de batterie, l’organisation rythmique des morceaux est dévolue préférentiellement à la guitare acoustique, parfois renforcée par la contrebasse, alors que l’association violon/violoncelle, approchée de différente façon (un instrument occupe une place prépondérante dans le champ sonore, accompagne ou module le propos mélodique, fait l’objet de différentes techniques d’accords et touchers) offre des perspectives harmoniques constamment réjouissantes. En avant, la voix haut perchée de James de Malplaquet (située quelque part entre celle de Jonsi Thor Birgisson et Patrick Watson) véhicule une émotion non feinte, chantant l’alcoolisme, le chômage, le mariage, les chagrins sentimentaux, la vie, la mort sans excès ni pathos, voire avec espièglerie. Parmi les perles du disque, on retiendra par exemple “North Villas” : proximité intimiste de la voix au premier plan (le morceau débute par une profonde expiration du chanteur), pizzicati de violoncelle mariés à un violon déchirant, arpèges de guitare acoustique en contrepoint, choeurs féminins, dédoublements vocaux et sifflement aux alentours tiennent d’une scénographie musicale où la simplicité des moyens convoqués le dispute à l’ingéniosité et le raffinement de leur exposition/expression poétique.

Si sur le papier la formule instrumentale d’un quintet à cordes pouvait sembler a priori limitée, et le risque de la répétition non négligeable, elle s’avère en réalité d’une richesse considérable, le groupe parvenant systématiquement à renouveler les couleurs de sa palette. Le format pop ainsi investi, avec finalement peu de réminiscences classiques, mais quelques accents flamenco biens sentis (lire aux antipodes de la soupe hispanisante telle que servie récemment par notre Christophe national), valorise une écriture qui n’a pas renoncé au rythme — dont on sait combien il est fondateur de l’échange. À ceci près que ce dernier, plutôt que d’imposer sa loi et ses ruptures, diffuse plutôt à travers les lentes fluctuations dynamiques et les fins arrangements bricolés avec patience (l’album a été enregistré au chaud dans la maison de James de Malplaquet). Une autre façon de prendre la bonne mesure des choses.

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