Ou comment « Franz fidéliser » une franchise qui a fait vibrionner des millions de personnes tant sur scène que sur piste. Une bonne poignée de tubes potentiels plus tard et passées quelques baisses de régime, l’essai est plutôt transformé.


Sans mauvaise foi, ceux-là sont de gros clients. Cet énorme succès qui a déferlé sur eux dès le premier album est on ne peut plus légitime. Voilà des musiciens disciplinés qui travaillent dur pour maintenir un certain degré d’exigence dans le(ur) rock, sans toutefois se priver de courtiser un public large. A ce titre, il est intéressant de constater que les quatre ambitieux de Glasgow cultivent avec Interpol quelques atomes crochus, aussi bien sur le plan musical que celui de l’apparence (lugubre ou pas). Mais en écartant les complexes théories constructivistes et le look méché d’Alex Kapranos, objectivement, pourquoi ça marche Franz Ferdinand ? Parce que peu comme eux peuvent prétendre à pondre de solides hymnes entêtants, vissé sur du 140 BPM au groove particulièrement infaillible.

L’imposant palmarès de tubes accumulés en seulement deux albums a rapidement fait de les installer au rang des valeurs sûres. Finalement, cette confiance aveugle que nous leur vouons manquerait presque de se retourner contre eux, oserions-nous dire. Trop sages (une seule bagarre, en huit ans d’existence, Oasis pouffe), nos garçons appliqués, trop propres et toujours à l’heure, pêcheraient presque par une absence de faiblesse. Voire de danger. A tel point que l’attente suscitée par ce troisième album ne provoque pas cette fois chez les médias autant d’hystérie que chez les fans lorsqu’Alex Kapranos menaçait de couper sa mèche en 2005.

Mais alors qu’on sentait la routine s’installer, Tonight nous prend de revers. Sous la coupe du producteur Dan Carey (Hot Chip), ce troisième volet serait ainsi imbibé d’essence noire, dite « sauvage » selon le groupe. Impression d’abord égrainée par cette pochette, fin hommage au photographe/journaliste new-yorkais Weegee, passé à la postérité pour ses clichés des années 50 pris sur de véritables scènes de crime, qu’il développait le soir même dans le coffre de sa voiture bricolé en chambre noire. Cette virée nocturne serait donc le prétexte à davantage de mise en danger. Une conduite sans phare ? Les synthés, bruitages et autres bidouillages analogiques greffés aux nouvelles compositions accaparent certes davantage l’espace, mais sans pour autant s’avérer déterminant dans le processus d’écriture. A la vérité, à quelques timides exceptions près (empathie des années new wave sur “Twilight Omens”, la petite expédition africanisante “Send Him Away”), Tonight nous sert toujours du Franz Ferdinand. Et les écoutes répétées le confirment. Alors pourquoi adhérons-nous à Tonight ? Parce que Franz Ferdinand ne cache plus ses défauts et qu’il en deviendrait plus humain.

On a pourtant pris peur au départ. Tonight n’est pas de ces disques sur lesquels on s’emballe d’emblée, comme ce fut le cas sur les terribles pièges à double-tranchant “The Fallen”/“Do You Want To” et “Tell Her Tonight”/“Take me Out”… Le premier single “Ulysses” se veut d’évidence moins direct qu’un “Take Me Out”, mais finit par atteindre le coeur de sa cible à force d’être pilonné dans nos esgourdes. Stratégiquement posée en seconde position, l’embuscade “Turn it On” se perd pourtant un peu en route, où plutôt rétrograde inexplicablement en pleine course. L’élan est un peu gâché. C’est aussi le cas du discoïde “Live Home” dont les claviers vintage façon Abba auraient tendance à nous taper sur le système. Heureusement, le moteur de Franz Ferdinand ne manque pas de reprise : “No You Girls”, évident single d’ores et déjà promis à un carton massif, et “Bite Hard”, une tuerie où, succédant à quelques notes de piano délicates, les guitares surgissent et lâchent une volée de riffs effrénés qui redonnent envie de croire à la fusion dance-rock. Plus funky, « What She Came for » se veut du même acabit en terme d’adrénaline rock (hummm, cette basse!). Seul véritable curiosité, la séance electro/psyché de près de 8 minutes “Lucid Dreams”, tellement barrée et incongrue qu’elle en devient intrigante.

Tonight est donc un disque avec ses hauts et ses bas, et c’est justement ce qui le rend touchant. La formule n’est plus infaillible, mais pour la première fois, on peut dire qu’on aime aussi Franz Ferdinand avec ses défauts (qui sont loin d’être honteux cela dit). Tiens Alex, vous permettez qu’on se tutoie ?

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