Divine surprise que ce nouvel album de la franco-britannique. On n’avait pas entendu aussi aventureux dans la langue de Molière depuis une éternité. Un drôle d’oiseau qu’il ne faut surtout pas mettre en cage.


Remarquée avec L’Autre Bout Du Monde (2005), un premier album réalisé par le brillant Franck Monnet et qui réussissait parfaitement le pont entre chanson française et culture anglo-saxonne, Emily Loizeau ne laissait rien filtrer de son avenir discographique, préférant égrener des indices contradictoires. Ici une collaboration avec l’autre drôle de volatile Andrew Bird, là une réédition très orientée nouvelle chanson française, on ne savait plus que penser de la jeune femme. Allait-elle se perdre dans le sillon surpeuplé post-Camille ou au contraire allait-elle prendre le parfait contrepied et prolonger sa recherche folk formelle si chère à son premier label, Fargo ? En fait, c’est une troisième voie radicalement à contre-courant qu’elle choisit d’emprunter sur ce luxuriant Pays Sauvage signé sur une major.

Le single défendant ce disque, “Sister”, n’augure en rien de la brillante mutation qui s’effectue devant nos ouïes ébahies, avec son texte très delermien et ses arrangements trop attendus. Pourtant, après un premier morceau éponyme faisant parfaitement la liaison avec son premier effort, Pays Sauvage donne à voir une contrée sauvage donc, peuplée… d’oiseaux, mais aussi de femmes à barbe, de crapaud, de Géant et autres personnages imaginaires. Et comme farfadets, des banjo, ukulélé, mandoline, flûte à bec, autant de petits outils venant en appui d’un piano mutin, de violons pizzicatés ou chatouillés, et de guitares fanfaronnes. L’univers de la jeune chanteuse est foisonnant, et elle sait donner vie à son imagination débordante. Entre mélancolie et folie douce, entre gravité et pur délire, elle offre non pas un simple pays mais un monde parallèle dont la poésie témoigne d’une richesse intérieure intarrissable et d’une curiosité insatiable.
Ce nouvel effort compte son lot d’invités. Moriarty et David Ivar Herman Dune, incontournables de la scène actuelle, jouent à la perfection leur rôle : chorale parfaite pour les premiers (plus à l’aise ici, débridés, que coincés dans leur posture) et chialeur mielleux pour le second, idéalement cautérisé par la douce — assurément pas la meilleure idée de la chanteuse. Sans oublier l’indicible Thomas Fersen, heureux comme un poisson dans l’eau dans son costume de crapaud sur “The Princess And The Toad”, haut lieu de génial n’importe quoi, et Daniel Waro, qui s’en donne à coeur joie sur “Dis Moi Que Tu Ne Pleures Pas”, feu de camp affolant qui donne au disque une couleur d’un soleil se couchant sur une plage promise à une nuit de festivités sans limite. “La Femme A Barbe” est au contraire une belle bizarrerie enluminée par le mystérieux « choeur de femmes à barbe de Paris » (Jeanne Chéral, Olivia Ruiz et Nina Morato, venues poser leur voix gracieusement) se livrant à un étonnant exercice de poissonnières.
Mais c’est bien seule qu’Emily Loizeau donne toute la mesure de sa liberté, avec en plein coeur “La Dernière Pluie”, petite absurdité délicieuse, ou plus loin l’inquiétante ballade “Songes”, « triste comme un pendu » pour la citer, ou encore “Coconut Madam”, petite espièglerie bien dans ses ballerines.

Ce petit bout de femme se révèle ici une forte personnalité qui doit veiller à conserver intacte sa double culture et son grain d’inconscience. La scène française manque cruellement de cette insouciance et de cette volonté farouche de sortir des clous.

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