La Maroquinerie, haut-lieu parisien des concerts indépendants, peut se targuer d’accueillir encore une fois l’une des plus alléchantes et éclectiques programmation en ville : Josephine Foster, Melpo Mene, Eugene McGuiness, Locksley, The Ralfe Band…
Jeudi 5 Mars
Pour cette seconde édition du Festival Minimum, la cohorte d’acteurs de la scène musicale parisienne présents ce soir, journalistes, bloggers, musiciens programmés ou non (Red, la sensation du moment Locksley en repérage des lieux pour samedi…), sans oublier une foule de spectateurs aux goûts éclairés, ne s’y sont pas trompés. Toujours curieux de voir communier dans la cour et le bar des lieux cette foule hétéroclite, on ne voit vraiment ça qu’à la Maroquinerie ! Le début de soirée est animé par le vaillant Perio, guitare folk en bandoulière et son acolyte à la lapsteel, qui ont un peu de mal à donner de l’ampleur à leur country-folk écorchée au milieu des couverts du bar/restaurant de l’établissement.
Le festival commence vraiment sur les chansons du duo ARLT., soit Sing Sing et Eloïse Decazes, accompagnés pour l’occasion par Mocke (Holden). Si leur premier EP donnait à entendre une pop mutine et finement drôle, celle-ci peine à percer sur scène. Les voix des deux complices se marient toujours avec élégance et harmonie, il leur manque juste ce petit soupçon de frivolité qui apporte tant au disque. Pour autant, on se réjouit d’entendre des textes aussi délicieux et l’on se prend à rêver d’habillage plus consistant pour ces vignettes de peu qui leur octroierait une force un peu absente ce soir-là.
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Deuxième rendez-vous, la très attendue et rare Josephine Foster, silhouette longiligne, fait une entrée furtive et silencieuse dans la salle. Mais il est difficile de se détourner de ses yeux, d’un bleu/vert intense, pétrifiant. L’auteur de ces lignes a fait les frais de son fort caractère quelques semaines auparavant : peu enclin à disserter sur sa musique après trente minutes de questions bataillées et de réponses frustrantes, elle refusa finalement de se faire prendre en photo. A la vérité, la fille du Colorado éprouve beaucoup de difficulté à parler de sa musique, tant son engagement émotionnel dans son œuvre semble sans compromis. Il en est ainsi pour certains artistes, ceci ne remettant évidemment pas en cause la qualité intrinsèque de la musique. On apprendra seulement qu’elle vit depuis deux ans une vie quasi-monastique, retirée dans les montagnes des Pyrénées avec son compagnon, le guitariste virtuose Vittorio Herrero.
Assise, posture droite d’une cantatrice, l’Américaine s’accompagne seulement d’une guitare espagnole et d’un harmonica. Ce choix de l’épure met en évidence sa voix soprano d’une expressivité hors du commun, prompte à hérisser le poil d’un folker imberbe. En dépit d’un jeu de guitare approximatif, ses vocalises sont un enchantement qui transportent vers des contrées énigmatiques, non répertoriées dans les cadastres musicaux. Et même si manifestement l’audience ne lui est pas totalement acquise, certains ayant trouvé ces vingt premières minutes non dénuées de longueurs. Elle est ensuite rejointe par Vittorio Herrero et l’émotion monte clairement de plusieurs crans, lorsque le duo interprète une poignée de chansons de son dernier album — et meilleur à ce jour — This Coming Gladness. L’espagnol, effacé, s’emploie à créer avec sa six-cordes électrique des strates de larsen atmosphériques, baroques et majestueux, parfois même effrayants, conférant aux vocalises féminines une force émotionnelle proprement dramaturgique sur les piques “The Garden of Earthly Delight” et “All I Wanted Was The Moon”. Avant que la mystique ne troque sa guitare pour son piano, elle accorde un hors piste à Vittorio Herrero, libre d’interpréter un instrumental « enjoué » tiré de son — toutefois — très bel album en solitaire. Pendant la performance du compagnon, la chanteuse se mue et ferme les yeux, emportée par chaque note de son double. Herrero disparaît enfin, elle se retourne vers son clavier pour quelques envolées pianistiques nettement plus complexes harmoniquement, sans baisser d’intensité ses vocalises. Manifestement plus à l’aise qu’avec l’instrument folk, elle s’excuse pourtant de sa piètre performance, due aux touches plus étroites du clavier que son piano. Ce qui ne l’empêche pas de finir sous une ovation. Aussi insaisissable qu’elle soit, Josephine Foster dégage une présence que l’on a rarement eu l’occasion de sentir sur scène. Elle est tout simplement différente. Vraiment différente.
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Changement radical de registre puisque cette première soirée s’achèvera sur un set des revenants I Am Kloot. Si la perspective de voir ce groupe, que l’on avait toujours considéré comme une étoile de seconde zone, ne nous réjouit pas plus que ça, ne voyant pas trop ce qui en ressortira après l’expérience hors du commun vécue avec Josphine Foster, les premiers accrocs de la voix râpeuse de John Harold Arnold Bramwell abattent les moindres doutes. Dès les premières mesures de “No Direction Home”, on est d’emblée touchés par ces gaillards qui ont largement dépassé la quarantaine, et qui croient mordicus à leur pop outrageusement référencée et pourtant tellement addictive. Il faut voir Bramwell s’émouvoir sur ses propres paroles, il faut admirer le robuste Andy Hargreaves se jouer de ses fûts comme s’il compte emballer sa première groupie. On fond devant ce spectacle de rien du tout, ces petites chansons simples et accueillantes, toutes guitares devant. Les mancuniens sont réellement heureux d’être là, et cette joie toute bête est forcément communicative dans cette salle ô combien intimiste. Les trois premiers albums du groupe sont amplement visités au cours de ce set de plus d’1h30, à la grande joie d’un public venu en masse pour ces retrouvailles. Mais le sommet est atteint lorsque le groupe s’éclipse pour laisser Bramwell seul broder, dans un silence de cathédrale, deux petites merveilles acoustiques, dont la subliminale “Astray”. Le rouquin n’est pas un showman mais un ami qui nous offre ce qu’il sait faire de mieux : des chansons. Le groupe revient, revigoré par quelques gorgées de houblon, et achève le public sur “To You”, récemment sanctifiée sur Headless Heroes et surtout “Because”, longue ballade en crescendo qui clôt Natural History.
C’est rompu mais conquis que l’on regagne ses pénates, convaincus que le grand écart, même en programmation musicale, s’il est l’un des gestes les plus difficiles à accomplir, peut être grandiose quand il est réussi comme ce soir-là.
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Samedi 7 mars
On regrette un peu d’avoir déserté le plateau de la veille, notamment la pop vagabonde des britons The Ralfe Band, ainsi que la poésie rock engagée du vieux briscard Theo Hakola. Par contre, on n’aurait raté pour rien au monde la programmation fiévreuse de ce samedi soir. En préambule au bar de la maroquinerie, le toujours très élégant Alban Dereyer et sa pop divine (comedy ?) se propose de faire la liaison entre les deux éditions du festival, puisqu’il foulait déjà les planches de la scène l’année dernière. Le jeune homme nous avait déjà laissés un bon souvenir avec sa reprise de Biff Rose et les chansons de son EP hautement distingué.
Le songwriter anglais Eugene McGuiness est le gros coup de cœur de l’équipe Minimum. Vendu en coulisse comme l’album de l’année 2008, gageons que Raphaël Gil a — encore une fois — eut le nez fin sur ce coup là. Si l’irrésistible premier album du prodige du label Domino (signé à peine à 20 ans et des poussières) n’a pas fait grands échos sur les terres de Charlemagne, tout le monde s’accorde à dire ce n’est qu’une question de temps. Seul sur scène, déjà avec sa guitare, sa gouaille de storyteller romantique à la Morrissey fait des merveilles. Cela s’entend avec un bonheur non feint, cette bouille attachante originaire de la banlieue de Liverpool a été élevée sur les rives du Merseyside, là où coule la source pop la plus pure au monde : The La’s et The Coral, Shack… Fidèle aux valeurs aristocratiques du songwriting de ses ainés, Eugene McGuinnes n’est pour autant pas — comme il le chante si bien — « si académique. » Ces paroles s’adressent à la génération d’Alex Turner (The Last Shadows Puppets, Artic Monkeys), mais avec un sens nettement plus drôle et aiguisé dans l’accroche. Souriant, un brin timide, le « scouser » se fend déjà d’une impressionnante brochette de classiques en devenir — “Nightshift”, « Monsters under the Bed » ou « Moscow State Circus ». Généreux jusqu’au bout, il se termine notamment avec une reprise à rebrousse-poil du “Juicebox” des Strokes, repassée au filtre acoustique liverpooldien. Et puis une autre à la demande générale, “Ask” des Smiths, toujours bonne à prendre.
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On déborde un peu à la buvette avant de retourner dans le cosi, petit amphi souterrain de la maroquinerie où Melpo Mene ne nous a évidemment pas attendus. Des arpèges de guitare claire noyés nous cueillent à l’entrée, on reconnaît le “Kids” de MGMT dans une version nue, étonnante de mélancolie introspective. En mode solitaire, avec ses petites pédales d’effet, le suédois Erick Mattiasson a un joli brin de voix, certes un peu limité, qu’il sait habilement mettre au service de ses harmonies léchées. D’humeur plutôt avenante, il papote longuement avec le public entre chaques morceaux — même s’il confie s’être juré de ne pas trop en abuser avant de monter sur scène. Les morceaux puisés dans son remarquable premier album, Holes, s’avèrent bien plus consistants que ceux de son petit dernier, Bring The Lions Out, mieux arrangé mais qui manque de mélodies fortes… et qui fait cruellement office de filtre révélateur dans cette configuration en solo. Mais on passe tout de même un agréable moment.
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Après deux concerts intimistes, nous voilà pris en traite par le son d’une caisse claire énorme qui décolle littéralement les tympans. Ce sont les quatre jeunes tornades new-yorkaises de Locksley qui font une entrée des plus décapantes, bien déterminés à combler le quota décibels de la soirée. En quelques minutes, la power pop survitaminée de ce fougueux combo se montre nettement plus percutante dans ces conditions d’urgence live que sur son premier album, un brin trop sagement produit. Ils ont à vu de nez à peine 22 ans de moyenne d’âge, du charisme à revendre et un sens de l’« entertainment » à l’américaine déjà bien rôdé (l’un d’eux arbore le look chapeau melon de Malcom McDowell dans Orange Mecanique). Les brûlots garage rock bordés d’harmonie vocales à la Macca/lennon s’enchaînent sans répis : “My Kind Of Lover”, “Don’t Make Me Wait”,“ Why Not Me” et deux reprises, l’une de Richard Hell digne du héro punk, et un « Hotel Yorba » des White Stripes explosif. Et, surtout, très bonne nouvelle, les quelques nouvelles bombinettes lâchées en pâture ici, à paraître sur leur second album vont incessement mettre le feu partout. On espère que ces jeunes garçons dans le vent reprendront le flambeau seventies de leurs vaillants ainés locaux, The dB’s… D’ailleurs, peut-être est-ce l’ambiance de la salle qui veut ça, mais on se plait à penser que ça devait se passer comme ça du temps de l’âge d’or de The Cavern, au début des sixties. Le courant du Merseyside a emporté cette soirée de clôture du festival Minimum.
Remerciements : Mariette et Raphäel
Les crédits photos sont de Cathimini du fanzine Abus Dangereux
Les pages Myspace des artistes programmés :
– ARLT
– Perio
– Josephine Foster
– Victor Herrero
– I Am Kloot
– The Ralfe Band
– Theo Hakola
Alban Dereyer
– Eugene McGuiness
– Melpo Mene
– Locksley