Ces Enfoirés de frères Dessner de The National nous ont concocté un plateau de bienfaisance de premier cru. Et, chose pas banale dans ce genre d’exercice, la charité n’a pas occulté la musique.


Red Hot, association spécialisée dans la lutte et la prévention contre le SIDA, a eu l’excellente idée, il y a 20 ans, d’associer message fort et plaisir sonore, en livrant une compilation annuelle pour rameuter du public, chacune de ces compilations possèdant une thématique ou un fil rouge. Celle qui nous intéresse aujourd’hui a été imaginée par les deux brutors de The National en écho à No Companion qui réunissait il y a 15 ans la crème indie américaine (aux premiers rangs desquels Patti Smith, Sonic Youth, Pavement ou Nirvana).

C’est en hommage à l’immense Blind Willie Johnson que cette compilation porte ce titre plus qu’évocateur. Si l’on y retrouve le titre le plus connu du vieux bluesman aveugle repris par de parfaits Kronos Quartet, il s’agit aussi d’une profession de foi qui annonce assez précisément la couleur. Car, à de rares exception près, les 31 titres de cette plantureuse compilation ne sont pas exactement des tubes pour fêtes avinées. En outre, le casting de cette sauterie ténébreuse ressemble à un rêve éveillé : Antony, The National, The Decemberists, Feist, My Brightest Diamond, Sufjan Stevens, Grizzly Bear, Bon Iver, David Byrne, Arcade Fire, Yo La Tengo, Jose Gonzalez et quelques autres, le tout dirigé par Aaron et Brice Dessner. Autant dire que sur le papier, le projet semble alléchant. Et autant rajouter qu’entre les esgourdes, c’est carrément Byzance.

Le premier CD est un quasi sans faute. Démarrant sur les chapeaux de roue avec un David Byrne en pleine forme pour faire sauter sur ses genoux les rigolos Dirty Projectors, This CD navigue entre covers magiques — Nina Simone par My Brightest Diamond, Bob Dylan par Antony Hagerty et Bryce Dessner, ou encore Nick Drake par Jose Gonzalez associé à The Books pour l’occasion — et inédits en or — dont notamment ceux de Bon Iver, The National ou Grizzly Bear. Mais les deux qui crèvent littéralement le plafond sont, par ordre d’apparition, la divine Feist dans ses deux reprises — dont “Train Song” de Vashti Bunyan, une perle noire — et un Sufjan Stevens au sommet sur son épique relecture de “You Are the Blood” de Castanets qui le montre sous un nouveau jour avec son electro barrée tâclant un Thom Yorke qui pourrait bien être piqué au vif.

That CD, le deuxième volet, est nettement plus inégal. A part des Yo La Tengo en apesanteur, un Stuart Murdoch élégiaque, un Andrew Bird sur coussins d’air et un Beirut complètement accro au surf landais, le reste est au mieux constitué de titres de seconde zone — les Arcade Fire ne se sont franchement pas foulés sur ce “Lenin” en roue libre –, au pire de vagues participations bienfaisantes. A la limite pourrions-nous sourire à la valse de My Morning Jacket. Une belle trouée solaire, toutefois, illumine ce soldat fourbu : la longue plage musicale “Happiness”, planante et terriblement envoûtante, signée des étranges Riceboy Sleeps — et derrière lesquels se cache un certain Jon thor Birdisson, ci-devant leader et chanteur de Sigur Ros.

Malgré ce déséquilibre, le souci de cohérence et le soin apporté à l’ensemble valent largement l’achat de cet objet, surtout au prix proposé. C’est quand même autre chose que Mimie Mathy chantant en duo avec Patrick Bruel un titre de Michel Berger en habits de marins, non ?

– Le MySpace spécial