Une histoire de couple : l’un souffle, quand l’autre tape. Voilà qui pourrait signifier un horizon volontiers malsain, si l’altérité n’était pas justement ce dont se nourrit le grand art du saxophoniste américain Joe McPhee et celui du batteur norvégien Pall Nilssen-Love. De moitié son cadet, le second (34 ans) partage avec le premier (68 ans) un goût immodéré pour les aventures sonores d’un jour (en l’occurrence ici le 15 Août 2007) qui ne mènent nulle part, c’est-à-dire précisément vers ce lieu inconnu découvert à mesure que s’improvise ses courbes, ses dénivelés et autres infractuosités. Avec l’humilité qu’on lui connaît, McPhee laisse au batteur tout l’espace nécessaire pour qu’il déploie un large éventail de sonorités et de techniques percussives (mention spéciale pour l’impressionnante palette de touchers déployés aux cymbales) au diapason de l’échange qu’il génère, relance, abrège, découpe au saxophone ténor ou à la trompette de poche. Échange disons-nous, au sens biologique du terme, plutôt que simple dialogue : il est en effet question ici de mise en présence de forces, de circulation de fluides, d’impressions musicales déposées fugacement au creux d’un espace méditatif, quoiqu’en proie à quelques sautes d’humeur récurrentes. Ainsi de l’emblématique “Body Sound”, qui commence par une succession de trépignements (expirations heurtées, roulements saccadés sur divers supports), gestes convulsifs jusqu’à la dislocation, puis se poursuit plus calmement à mesure que s’étire en hauteur le morceau (souffle profond et tenu, jeu percussif suspendu). Après la fuite en avant hic et nunc de la jeunesse exaltée, les circonvolutions intérieures où sommeille l’expérience du lendemain. C’est sans doute ainsi qu’il faut entendre d’ailleurs le titre de l’album, Tomorrow Came Today, comme le rabattement de deux temps et deux vécus qui, se nourrissant l’un l’autre, annulent moins leurs particularités qu’ils ne rythment l’invention jamais éconduite de leur entente.

– Le site de Joe McPhee
– Le site de Paal Nilssen-Love