Quand un sombre messager nous propose un périple musical à travers la vieille Europe, nous, hypnotisés, sanglotons avec ses instruments…


Tout pleure, lui transmet. Des guitares tremblantes, des violons à bout de souffle, à bout de cordes, une mandoline chevrotante. Sur ce récital de larmes, il pose sa voix, souvent blasée, tente un « la la la » presque entraînant mais peu convaincant, soulevant la chape de plomb pour laisser s’échapper un air vicié. Lui, c’est Matt Elliott, homme-orchestre anglais, qui referme ici son triptyque : après Drinking Songs (2005) et Failing Songs (2006), voici Howling Songs, ses chansons hurlantes.
Connaissant le bonhomme, ses oeuvres précédentes, nous savons bien qu’il ne fallait pas s’attendre aux « Choubidouwa » en vogue. La pochette, noire et beige, donne le ton, représentant un jeune homme, un prince peut-être, au regard perçant, et sur sa tête, un insecte énorme et repoussant. Pour finir de cerner le personnage, la tracklist a un goût rance. On sort quelques mots : « Ghosts », « Blood », « Broken », « Tragedy », « Failed »….
Cette impression est confirmée par le premier morceau, condensé jubilatoire de la musique de Matt Elliott. En 11’34, “The Kubler-Ross Model” est une montée en puissance inéluctable. Petite guitare vibrante, le timbre grave d’Elliott, avec des accents de Nick Cave ou Leonard Cohen. Septième minute, le morceau s’envole, il s’efface, les instruments reprennent le pouvoir, comme un dernier sursaut. C’est slave, c’est violent. Le chant du cygne dans un Klezmer de guingois. A côté de cela, Beirut, estampillé Balkans, transmet des fleurs et Get Well Soon fait figure de remède.
De quoi s’intéresser au modèle dont il nous parle. Elisabeth Kübler-Ross était une psychiatre américaine, spécialiste de l’approche psychologique des personnes en fin de vie. Son modèle décrit les cinq étapes par lesquelles passent les personnes en phase terminale : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation. Tout un programme.

L’ancien Third Eye Fundation, son projet electro, continue méticuleusement de tourner les pages de son portfolio sur le magnifique “Something about Ghosts” qu’il entame en vagabond maudit : « I’m as lonely as a ghost as I sit down to write these notes ». On s’attend ensuite à connaître la même déferlante. A chaque rupture d’arpèges, nos oreilles se rabattent, comme un enfant fermerait les yeux en accompagnant le mouvement d’une claque qu’il va recevoir. Ça ne manque pas, et ça ne manque pas d’entrain pour secouer l’atmosphère comateuse du début. Mais le crachin revient avec la douceur malsaine de “How Much In Blood”. Puis, “A Broken Flamenco”, fascine, avant d’avancer, comme promis, dégingandé. C’est harassant, mais c’est beau, cette habitude de mettre le feu aux flammes avant de mourir sur un piano délicat. Après l’Espagne, direction l’Allemagne de “Berlin & Bisenthal”, et une délicatesse tenue de bout en bout. Un violon à la tzigane perle, pleure, et Matt Elliott pose sa voix grave sur cette complainte émaillée de notes fragiles. De l’Allemagne, le patient anglais part sur une embarcation damnée, « I Name This Ship The Tragedy, Bless Her & All Who Sail With Her ». Le vaisseau prend l’eau tandis que le rythme s’accélère, entraîné par des guitares et violons. Les deux dernières cartes postales de ce Howling Songs laissent entrevoir des mélodies plus limpides, l’espoir d’une éclaircie. Vite rattrapée par les nuages qui concluent “Bomb The Stock exchange”, après les dernières interrogations de Matt Elliott : « What to do but cry ? » et « Why not bomb the Stock Exchange ? ».

Ainsi tourne-t-il la page avant de se pencher à nouveau sur Third Eye Fundation. Ce Howling Songs est un instantané majeur dans la carrière d’Elliott. Moins de bruitisme, plus d’émotion maîtrisée, et il referme avec brio cette trilogie. Homme désabusé dans un monde qu’il ne semble plus comprendre, il rend avec ses violons slaves, ses guitares hispaniques, son chant de crooner, un hommage à la vieille Europe. Sauf peut-être la France qu’il a quittée pour l’Espagne un « beau » jour de 2007, le lendemain de l’élection de Nicolas Sarkozy. Tout chez lui répond à une logique. Au moment de se retourner sur cet opus, on repense à la chanson d’ouverture, à ce modèle Kubler-Ross. Les cinq étapes nous reviennent. On refuse, on s’énerve, on négocie, on déprime et puis on accepte…

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