Un premier album de la part de novices new-yorkais qui fait forte impression avec ses ballades cold wave qui ne cèdent jamais à la facilité. Exigeant et lettré.


Seraient-ce ces profils d’étudiants de Lettre aux faciès angéliques qui taillent à vif dans ce rock angulaire, élimé et crépusculaire ? Surprenante précocité. Aussi, on saisit mieux les raisons de leur belle assurance en apprenant que ce quatuor a laissé maturer son spleen cinq longues années avant que ce premier album ne soit achevé.

Depuis qu’Interpol a redonné ses lettres de noblesse à une certaine énergie dramaturgique héritée des lendemains punk et de la cold wave, on ne compte plus les formations résurrectionnistes invoquant la statue du commandeur Ian Curtis, et les soldats méconnus que sont The Chameleons et The Sound, héros non négligeables de ces années « cristaux liquide ». A tel point qu’aujourd’hui, l’indigestion de pochettes verdâtres, surexposées par le NME, nous guette : pour un I Love You But I’ve Chosen Darkness, combien d’insipides The Departure, Cinematics, Editors et White Lies ? Leur pop opportuniste filtrée aux codes de couleurs monochromes n’arrive même pas à la hauteur de groupes plus consensuels 80’s — au hasard les deux premiers albums de Big Country. Au moins le son de cornemuse des guitares offrait du dépaysement…

Même si The Fatales emprunte de la même manière les préceptes de la cold wave (visuel entre gothique et sépia, voile noir mélancolique), ce quatuor de l’état de New York possède une personnalité suffisamment trempée pour ne pas s’enliser dans la mare. Son leader, Wayne Switzer (chant, composition, guitare et clavier) a indubitablement de sérieuses prédispositions à pervertir ses progressions mélodiques, qu’il se plait à détourner et étirer avec la virtuosité d’un styliste. Pour un premier album, Great Surround — produit par Andy LeMaster (Bright Eyes) — est d’une cohérence sans faille, presque conceptuelle tant chaque composition s’imbrique avec la suivante, toujours dans un souci de réinvention pourtant jamais démentie.

Great Surround est un album plus torturé qu’il n’y parait, obsessionnel dans sa quête de perfection, tout est pensé jusqu’à la moindre note de pattern numérique : nappes atmosphériques hivernales, arrangement de cordes somptueux, pulsations électroniques discrètes et guitares liquéfiées dans l’action faisant le contrepoint fiévreux. Wayne Switzer, chanteur à la gorge claire haut perchée n’abuse pas de ses facilités vocales et préfère les fulgurantes inclinaisons émotionnelles d’un Mark Hollis des débuts, ou encore la délicatesse d’un John Grant (The Czars) et Blue Nile — sur la pop littéraire de “Old Painter”, “Stadtpark”, somptueuse étreinte mélancolique aux relents de valse, ou encore l’entraînant “Vanishing Act”, que l’on serait tentés de considérer comme le tube potentiel de l’album dans un monde meilleur. Le reste du groupe — Ryan Vernon (basse, programmation), Craig Holland (batterie) et James Wu (claviers, cordes) — sait se mettre au service de cette mélancolie so(m)bre et classieuse comme jadis les Tindersticks nous en gratifiaient. Le frisson d’une brise glaciale nous effleure la nuque, à moins que ce ne soit une lame tranchante. The Fatales est l’élégance même.

– Lire également notre entretien avec The Fatales

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– Le site du label Monopsone