Elle s’amuse devant l’objectif du photographe, se prête au jeu avec l’aisance d’une midinette. La scène est presque déconcertante pour qui garde en tête l’image d’une folkeuse diaphane, hantée. Marissa Nadler est pourtant une femme rayonnante, souriante, pleine de vie. Touchante même dans ses instants de doute.


Seule avec son étui à guitare rangé non loin d’elle, la brune filiforme nous reçoit à son hôtel situé à deux pas du quartier des théâtres du IXe arrondissement et de Pigalle la décadente. Juste après notre entretien, elle doit se sauver, direction la maison de la radio pour une White Session. Le terme Black Session se prêterait davantage à cette musique de circonstance… Mais il est vrai que son dernier album laisse transparaître des instants de sérénité et des couleurs que nous ne lui connaissions pas jusqu’ici.

Pinkushion : Tu as récemment chanté à Paris dans une église. Te prêtes-tu souvent à ce genre de concert dans un cadre inhabituel ?

Marissa Nadler : Non, pas vraiment. Je pense qu’ils ont essayé de trouver un beau lieu pour organiser le show-case. Habituellement et depuis des années, je joue dans des salles dédiées aux concerts de rock ou dans des bars de scène.

Et que retiens-tu de cette expérience ?

Et bien, j’ai joué dans un coin de la chapelle, une petite salle. Ce fut une bonne expérience, l’audience était très attentive. Le seul problème était qu’ils avaient laissé les lumières allumées, alors que ma musique demeure très sombre. J’ai besoin de très peu de lumière pour installer l’ambiance. Mais j’étais très reconnaissante de pouvoir jouer dans ce lieu sacré.

Tu sembles être constamment en tournée, plus particulièrement en Europe. Comment trouves-tu la vie en tournée ?

Je commence à apprécier cette vie maintenant que les salles sont plus accueillantes et que les gens me traitent mieux (sourire). J’ai tellement galéré au début : je tournais par mes propres moyens, trimballant ma guitare un peu partout, personne n’était à mes côtés durant toutes ces années. Je n’ai pas connu de succès « immédiat », comme on dit, j’ai joué dans des endroits horribles. Aujourd’hui, j’aime tourner car les choses ont changé, mais je détestais ça par le passé. Je suis plutôt timide et délicate, plus jeune la scène m’intimidait. Mais je n’oublie pas à quel point ce fut dur, et j’apprécie d’autant plus grâce à tous ces efforts. Cette période fut très formatrice et prend tout son sens maintenant.

Quelle est la différence entre les échos que tu reçois aux Etats-Unis et ceux en Europe ?

Aux Etats-Unis, c’est très difficile pour un artiste indépendant de s’en sortir. Là-bas les choses se passent bien pour moi, je veux dire Pitchfork m’aime bien (sourire). En Europe, plus de gens viennent me voir à mes concerts. Peut-être parce que ma musique possède un petit côté européen spécifique, surtout dans cette façon de véhiculer des sentiments. Génétiquement, je suis prédisposée à jouer sur des accords mineurs, sur des clés mineures. Je pense que c’est une mémoire génétique (ndlr : née fille d’immigrés dont le nom comme tant d’autres a changé une fois débarquée aux Etats-Unis, elle se dit descendante d’Europe de l’Est). Je ne joue pas vraiment une musique accessible pour un public mainstream.

Marissa Nadler, Paris, mars 2009


Little Hells est le titre qui donne son nom à l’album ainsi qu’à une chanson. Quel est son sens ?

J’ai écrit cette chanson de façon très spontanée, elle est vraiment sortie ainsi de ma tête. L’album parle de solitude. Chaque chanson est interprétée du point de vue d’une femme qui pourrait être ou ne pas être moi, à différentes périodes de sa vie (ndlr : les noms de Sylvia, Leila et Mary sont évoqués dans l’album). Little Hells reflète ce jour présent où Marissa est en proie à la solitude. Little Hells était juste un mot, une phrase sortie de ma tête. Je l’ai tapé sur Google pour être sûr que l’expression n’était pas déjà utilisée sur un autre disque. Le seul résultat que j’ai trouvé était le nom d’un phénomène géologique qui se produit en Amérique du Sud : des geysers d’eau bouillante provoquant des tremblements de terre. Je me suis alors dit « parfait ! », car c’est le genre d’effet que l’on recherche lorsqu’on écrit une chanson. Je ne considère pas “Little Hells” comme la meilleure chanson de l’album, j’ai juste pensé que c’était un bon titre.

Tu emploies souvent dans tes paroles des mots sacrés pour évoquer l’amour et la perte. Aimes-tu cette alliance ?

Je ne l’aime pas trop (silence). Il s’agit davantage d’une sorte d’emprise avec qui je lutte. Je veux dire que ces chansons sont vraies, elles viennent du coeur. J’ai connu beaucoup d’amours et de déceptions sentimentales dans ma vie, la seule manière que je connaisse de les expurger est d’écrire une chanson dessus, je suppose. Et je suis croyante, ma mère est également quelqu’un de très spirituelle : elle lit dans les cartes et dans les marcs de café, elle prédit l’avenir. J’ai grandi dans un environnement familial étrange où ma mère me parlait de fantômes tout le temps. Ces « Ghosts & Lovers » évoquent ma mère, ses minuscules petits fantômes qu’elle voyait de partout. Mais pour revenir sur l’amour et la perte, ces thèmes reflètent mon obsession sur la mort, l’amour et la vie. C’est ainsi que vont les choses de la vie.

Toutes les chansons parlent de l’amour et de la mort, c’est un processus naturel.

Toutes les grandes chansons country « western » parlent de ces thèmes : Patsy Cline, Hank Williams… on peut considérer que je m’inscris dans cette tradition-là.

La production de ton nouvel album a été déléguée à Chris Coady, connu pour ses albums avec Blonde Redhead, qui a apporté une touche plus rock, un son plus expansif… Etait-ce l’idée de départ, se démarquer des albums précédents ?

Absolument. C’était le premier objectif en rentrant en studio, me libérer de ce pigeonnier folk. Je commençais vraiment à devenir frustrée de voir que les gens continuaient de penser que j’étais seulement capable de composer des sonorités folk. Je savais que j’étais capable d’aller plus loin soniquement. Je me suis dit « faisons ce genre de d’album, un peu shoegazy, spatial, ambiance Twin Peaks, avec aussi l’esprit des vieux disques de Dusty Springfield… ». Je ne regrette pas du tout ce chemin là, je suis contente de ne pas avoir fait un autre album de folk. Mon prochain disque sera certainement plus intimiste, mais à ce moment-là, il était temps de changer.

Il y a cette chanson très étonnante sur l’album…

…“Mary Comes Alive” ? (spontanément)

Oui, le son des guitares est très différent de ce qu’on a l’habitude d’entendre sur tes disques précédents.

Sur la version demo que j’avais enregistrée initialement, on n’y entendait seulement que moi et ma guitare acoustique. Mais lorsque nous sommes rentrés en studio, Chris a suggéré d’y rajouter un tempo de batterie, et je me souviens lui avoir répondu aussitôt « bien sûr, ça m’est égal ». A cette période de ma vie, j’étais très ouverte aux changements. C’est actuellement ma chanson préférée du disque, car elle est tellement différente. J’avais vraiment dans l’idée de vouloir choquer les gens en l’enregistrant. Aussi, je n’ai découvert l’univers de Kate Bush qu’après avoir terminé Little Hells, et ce fut vraiment bizarre. Beaucoup de gens m’ont dit que je sonnais comme elle et cet autre groupe aussi… comment s’appelle-t-il déjà ? Cocteau Twins. Je n’avais jamais écouté aucun des deux auparavant. Par contre, maintenant, je suis totalement obsédée par Kate Bush. (sourire).

L’usage fréquent de la reverb m’évoque aussi un autre groupe, Mazzy Star. Connais-tu ce groupe ?

Oh Oui. J’ai été comparée avec depuis que j’ai l’âge de 16 ans. Je reconnais que je sonne de façon assez similaire vocalement, mais Mazzy Star non plus ne maîtrisait pas parfaitement ses instruments, et Hope Sandoval n’écrivait pas beaucoup de chansons, également. J’adore Mazzy Star et Hope Sandoval, mais il y a une grande différence en terme d’identité musicale. Je suis avant tout une songwriter, je ne joue pas dans un groupe. Il est vrai que ma voix sonne parfois identique à cause de la reverb, mais ce n’est pas tout le temps le cas non plus, car je chante plus haut. Tu comprends ?

Oui, je comprends la nuance.

Je suis depuis longtemps fan de Mazzy Star, j’ai quasiment grandi avec leur musique. C’est mon groupe préféré de tous les temps… avec Black Sabbath ! (rires)

Quel est ton avis sur l’emploi de la reverb dans un disque ?

J’aime la reverb. A vrai dire, je ne tiens pas compte de ce que les gens pensent. C’est mon opinion. Des gens me disent : « tu as une voix tellement belle, tu n’as pas besoin de rajouter autant de reverb dessus ». Mais j’adore ça. J’aime quand ce son te propulse vers un autre espace, un espace infini. Et cela m’aide à sentir les bonnes vibrations. J’aime comment ma voix sonne, depuis enfant j’ai toujours chanté dans des cages d’escalier, ce sont des endroits qui ont une acoustique naturelle. J’essaye de recréer ce son « live » sur mes albums.

As-tu déjà enregistré dans une salle de bain ? L’endroit se prête parfaitement à ce genre d’acoustique.

Une fois, oui. Dans une baignoire, j’ai écrit une chanson avec des amis. Il n’y a pas meilleur endroit qu’une douche pour chanter.

Marissa Nadler, Paris, mars 2009

Même si le disque se veut plus étoffé en terme de production, on retrouve encore quelques moments solitaires comme “Brittle, Crushed & Torn”.

Oui, dans ce cas précis. C’est une chanson qui fonctionnait très bien ainsi, j’ai estimé qu’on ne pouvait pas apporter plus. Je compose essentiellement seule avec ma guitare acoustique, parfois avec une douze cordes, donc je tends naturellement vers ce genre d’ambiance. En ce moment, je joue beaucoup sur un banjo, mon écriture s’en ressent sur de nouvelles compositions.

Tu as collaboré ou fait la première partie de guitaristes et auteurs-compositeurs très respectés : Mark Kozelek et Greg Weeks. Qu’as-tu appris au contact de ces musiciens intransigeants ?

Je n’ai pas collaboré avec Marc Kozelek. J’ai simplement fait une fois la première partie de son concert.
Avec Greg Weeks, on s’est vraiment amusés à travailler ensemble. Je l’ai rencontré il y a quelques années sur la route. On est devenus amis et il m’a proposé d’enregistrer l’album qui a précédé Little Hells, Songs III : Bird on the Water. Il dirige un très joli studio, Hexham Head. Ça a été une belle expérience de travailler avec lui parce qu’il enregistre sur des bandes magnétiques dans un studio entièrement analogique, donc il y a peu de numérisation.

Il semblerait que tu as déjà écrit plusieurs chansons pour le prochain album. Ecris-tu toujours en avance ou est-ce parce que tu te sens particulièrement inspirée en ce moment ?

J’écris tout le temps. Mais je me suis aussi sentie très créative dernièrement.

Vas-tu tourner avec les mêmes musiciens qui figurent sur l’album : Myles Baer, Dave Scher et Simone Pace ?

Non. Le groupe qui m’accompagnera en tournée sera composé de Carter Tanton, du groupe Tulsa, à la guitare électrique, à la guitare préparée et au choeur, Ben McConnell, qui a joué avec Beach House et Phosphorescent entre autres, à la batterie et aux percussions, et enfin, le dernier musicien à m’accompagner, et pas des moindres, sera Jonas Haskins à la basse, qui a joué avec les groupes de doom metal Earth et avec Sera Cahoone.

Pour finir, la question rituelle : peux-tu donner tes cinq albums préférés ? Ce peut être tes favoris du moment, ou bien tes favoris de toujours.

Mes favoris du moment :

Hounds of Love – Kate Bush

Star – Belly

Songs from a Room – Leonard Cohen

Ladies of the Canyon – Joni Mitchel

After the Gold Rush – Neil Young

– Lire également la chronique de Little Hells

– Lire la chronique de Songs III : Bird On The Water (2007)

Crédits photo : Pascal Amoyel

Remerciements à Bérengère