Si Humphrey Bogart vivait encore, il écouterait probablement Elysian Fields. Et lancerait, derrière son nuage bleu, accoudé au comptoir : « Play it again, Jen…« 


Cela fera 15 ans que le duo Elysian Fields traîne langoureusement ses cordes sur les pavés mouillés de New York. Forcément, les séquelles se font davantage sentir : guitares de plus en plus glissantes, piano joué comme vautré sur un sofa, et la voix de Jennifer Charles toujours plus sinueuse et intouchable. Loin de leur brillant projet parallèle La Mar Enfortuna, sous l’enseigne Elysian Fields la chanteuse et son complice Oren Bloedow ne cessent de creuser ce sillon de jazz-folk noirci à la bougie et puant le tabac froid : musique de crépuscule pluvieux, bande-son d’une nuit moite et déraisonnable, de ces espaces spatio-temporels où l’on s’autoriserait tous les écarts, de l’alcool au stupre, en passant par la déconnexion pure et simple, le tout en admirant une petite brune susurrer ses chansons magnifiques sur cette scène minuscule. Se jeter dans un disque d’Elysian Fields, c’est l’assurance de décrocher la lune — ou du quotidien, peu importe. Pendant toute la durée du disque, si notre corps est présent, notre esprit se perd. Et The Afterlife, cinquième du genre, est encore plus dangereusement délicieux que ses prédécesseurs.

« Dig that hole/Dig it fast », nous conseille Jen sur “Drown those Days”, et on ne saurait la contrarier. Car derrière ce ton menaçant, se cache surtout la promesse d’ivresse au son d’un boogie cramé, de volutes d’un blues en cuir, ou d’une valse hésitante de touches noires et blanches qui n’osent trop se jeter les premières. Des facéties malsaines de “Turns me On” au portrait chinois délicieusement coquin de “Only for Tonight”, en passant par le soufre de “How we Die”, le duo s’en donne à coeur joie quand il s’agit d’aguicher l’auditeur, de provoquer en lui une envie irrépressible de se frotter à sa voisine ou son voisin (c’est selon), sans souci des convenances.
Mais résumer un disque d’Elysian Fields à une collection de chansons érotiques, ou pire, libidineuses, serait au minimum réducteur, au pire complètement faux, tant le duo new-yorkais est autrement plus fin et profond que cela. Car peu de musiciens sont capables d’explorations comme ces deux-là sous l’égide de La Mar Enfortuna, et lorsqu’ils reviennent à leur langue martenelle ils ne peuvent de fait qu’exceller à tisser d’épais tissus mordorés, des toiles fines et enveloppantes, luxuriantes de loin et fourmillant de détails. The Afterlife, dans ce registre, est la quintescence de cet art du clair-obscur musical. Ecouter “The Moment” et se délecter de la magie d’une étoile filante qui trouerait la nuit noire au ralenti, se laisser bercer par la souplesse des cuivres et la guitare rebondissante de “Where Can We Go But Nowhere”, ou succomber à l’infinie délicatesse du duo vocal de “Ashes in Winter Light”. Profiter pleinement de cette production élastique et chaleureuse.

The Afterlife, après s’être défendu âprement, récompense celui ou celle qui l’aura dompté tout au long de ces dix chansons tout simplement sublimes, comme on dirait d’une femme qu’elle est sublime dans sa fragilité, séduisante même cruellement brisée par une tristesse incommensurable, ou bouleversante de simplicité, sans apparât ni artifice. Et Elysian Fields n’en finit pas de lui rendre le plus beau des hommages, en composant la musique qui aurait pu rythmer la vie de… Lauren Bacall.

– Leur MySpace

– Le site de Vicious Circle

– En écoute, un moment de grâce avec “The Moment” :