Ce qui est appréciable avec les gens qui sortent des albums tous les 5 ou 6 ans c’est qu’on peut les redécouvrir à chaque fois tout en les retrouvant avec plaisir. Ainsi avec ce nouvel album de Lhasa tout change sauf que rien ne change. Ce qui change donc : oubliés Chavela Vargas, l’espagnol et sa raucité, cette envie de se faire mal, d’aller chercher les mots le plus loin possible, à s’en abîmer la gorge. Comme pour se prouver qu’on a plus chanté que les autres, plus souffert, plus vécu aussi. « Dehors, tout le monde dehors » comme disait l’autre, bienvenu par contre à Leonard Cohen (qui n’était bien sûr jamais très loin), à Tom Waits (déthéâtralisé et dékurtweilisé), à l’Amérique, au blues, à la souplesse de l’anglais, à un chant plus sensuel et caressant. « Apaisé », dirons ceux qui ne savent pas quoi dire. Apaisée, on doute que la demoiselle le soit jamais et d’ailleurs on ne le lui souhaite pas tant on a vu d’écorchés vaciller et s’éteindre, forts dépourvus quand la « maturité » est venue. Lhasa est de celles qui n’ont pas peur des coups et des genoux qui saignent et, même si elle fantasme sa propre mort (“I’m coming in”), on sent bien qu’elle aime la vie comme une enragée. Quitte à en crever parce qu’après tout, ça va avec le reste. Alors de blues austères (une bonne moitié du disque) en folk rassérénants, presque soul (“Is anything wrong ?”, “Fool’s gold”) en passant par de belles dérives envoûtantes (“Rising”) ou vénéneuses (“Love came here”, “The lonely spider”), musiques de films à se faire qui doivent sans doute à son cousinage avec la famille Staples-Tindersticks, Lhasa, à peine soutenue par un groupe volontairement en retrait, une guitare fantôme et quelques délicats arpèges de harpe, nous revient comme on se la rappelle : nue. On la retrouve telle que ses — rares — disques nous l’ont toujours montrée : à vif et affamée, fragile et incroyablement courageuse. Plus qu’heureuse : vivante.

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