Icônes d’un autre temps, légendes vivantes, beautiful losers : nombreux sont les qualificatifs qui siéent aux Vaselines, un groupe de rien du tout. Cette intégrale tenant sur un seul CD (et les bonus qui vont avec) donne l’occasion de comprendre enfin pourquoi.


A priori, rien ne destinait Eugene Kelly et Frances McKee, partant de leur Écosse natale, à connaître une carrière internationale basée sur une série d’albums tous plus monstrueusement produits les uns que les autres. L’histoire a joué son rôle de grande lessiveuse puisque tout est resté dans l’ordre, les Vaselines étant restés à leur place, sans prévoir un grain de sable survenu longtemps après leur séparation. Les Vaselines ont en effet gravé sur vinyle exactement 19 chansons entre mars 87 et janvier 89, réparties en deux EPs et un album. On pourrait préciser « de leur vivant », mais le fait est que les Vaselines n’ont pas fini de s’épancher et continuent de se reformer sur commande (festivals, anniversaires, communions, bar-mitsvah…), sans n’avoir jamais rien écrit ni enregistré depuis. Étrange réhabilitation que voilà, alors, d’autant que les chansons des Vaselines n’ont pas la consistance de celles d’un autre groupe britannique, The La’s, auteur d’un album unique aussi, quoiqu’absolument magistral, une poignée de mois plus tard. Mais voilà, ces petites vignettes ânonnées à s’en péter la gorge pour Frances, dotées de paroles innocentes, parfois même en bois, il faut le dire, sont délicieuses de maladresse et possèdent un charme qui happera le néophyte aujourd’hui encore, comme l’une d’entre elles — et c’est là que l’histoire déraille — happa un certain Kurt Cobain au moment de se produire en acoustique pour l’ennemie MTV. On a connu pire comme mise en avant.

Mais qu’est-ce qui fait qu’une chanson comme “Jesus Wants Me For A Sunbeam”, petite ballade jouant à la marelle en bordure du deuxième EP du duo (devenu groupe à ce moment-là), Dying For It, finisse au générique du concert bien peigné d’une des plus grosses fulgurances de l’histoire du rock, Nirvana, en dehors d’un étonnant concours de circonstances ou d’une collusion de répertoires (d’adresses) ? Son charme, tout simplement. Car cette chanson, dans sa version originale, est bouleversante de maladresse. Mais avant d’en arriver là, il y eut Son Of A Gun, premier EP frondeur, constitué de trois titres comme autant de professions de foi, à commencer par la chanson-titre, single au pouvoir d’attraction instantané. Intervient ensuite “Rory Rides Me Raw”, petite cavalcade à dos de bourriquet dans la campagne écossaise, qui laissera place à la croquignolesque “You Think You’re A Man”, reprise de l’ineffable Divine, entêtante ritournelle post-adolescente, assez éreintante au début, et qui finit par devenir irrésistible avec sa boîte à rythme en pleine crise de Parkinson, sa guitare wah-wah au rabais, son riff en chocolat et ses paroles aussi débiles qu’hilarantes.

Les choses deviennent réellement sérieuses sur Dying For It, le deuxième EP 4 titres, car The Vaselines est enfin un vrai groupe, avec une vraie assise rythmique constituée du frangin Charles Kelly à la batterie et de James Seenan à la basse. Les mélodies répétitives du couple peuvent alors s’enrouler avec délice autour des coups de butoir assénés par les nouvelles recrues, aidées en cela par une production bien plus chiadée signée du légendaire Stephen Pastel (The Pastels) qui en connaît un rayon question pop songs. Outre le tube à retardement pré-cité, cet EP est l’occasion d’entendre une tuerie intégrale, la brutale “Teenage Superstar”, qui n’est pourtant qu’un avant goût de ce que sera le premier (et unique, du coup) album du groupe.

Dum Dum a le goût de l’album légendaire, à se demander s’il n’a pas été composé dans cette optique là. Dès les premières notes de “Sex Sux (Amen)”, les Vaselines claironnent haut et fort qu’ils ont basculé dans une certaine forme de violence. Nettement plus punk que les premiers essais, Dum Dum est un brulôt au sens noble du terme. Paroles salaces (il y est beaucoup question de sexe), guitares pas plus limpides, batterie martiale et voix sur le fil. Le gentil couple des débuts a effectué sa mue et compte bien en découdre. Il ne s’est pourtant passé qu’une année entre les sympathiques débuts discographiques des tourtereaux et ce coup de boule. Il ne s’agit pas de la violence pour la violence, juste d’une radicalisation du son, liée notamment à l’octroi de plus de matériel, et à l’acquisition d’une assurance, d’une fronde même, qui les fait se lâcher littéralement — ce qui se confirme dans les deux live proposés dans le deuxième CD du coffret. Mais au-delà de l’éclosion d’un groupe prometteur, qui irait presque trop vite, se dessinent les contours d’une scène écossaise en devenir — avec les Pastels en tête de file justement, avant que n’arrivent les Teenage Fan Club par exemple. Et tellement probante que les générations en devenir s’inspireront de tous ses courants ad libitum, The Vaselines y compris. La rythmique ravageuse combinée aux harmonies vocales fragiles comme du papier mouillé de “Oliver Twisted” ne préfigure-t-elle pas ce que seront les titres les plus enlevés d’un autre combo écossais, une décennie plus loin, Belle And Sebastian ? Dum Dum est comme la balle du même nom, explosif après perforation. Ce n’est qu’une fois dans le corps de sa victime que ses effets les plus pervers se font sentir : transe, grosse sudation, irrésistible envie de bière… On y décèle même un effet de blast, d’ordinaire réservé à des concentrations d’explosifs autrement plus élevées. C’est d’ailleurs ce qui rend Dum Dum si pernicieux : si l’on ne décèle pas immédiatement les conséquences de son écoute (pas forcément abusive), on observe que trop tard le phénomène d’addiction qui nous prend à la gorge. “The Day I was a Horse”, “Dum Dum”, “Hairy” et d’autres ne sont-ils pas là pour instiller leur sale petit venin bourré d’amphétamines à celui qui a le malheur de musarder par là ?

Ainsi, The Vaselines a eu l’intelligence (pas forcément calculée) de ne pas se forcer, s’est arrêté à temps, et continue gentiment à capitaliser sur une discographie certes maigrichonne mais tout simplement irréprochable. Finalement, 19 chansons, ça tient sur un set. Et quand elles sont toutes calibrées comme ici, le groupe semble énorme et chacun des concerts est unique. L’illusion est intacte, et le public conquis. Et si c’était ça, le bonheur ?

– Leur MySpace