Aka HannahAvec son troisième album sorti à l’automne dernier chez Sub Pop, Soft Airplane, Chad Vangaalen confirmait qu’il était un songwriter de premier ordre doublé d’un bricoleur de génie. Qu’il s’agisse d’agencer des strates de claviers vintage pour bâtir un mini tube de pop synthétique ou de multiplier les pistes de voix pour hanter une folk song parfaite, notre homme semble agité par un bouillonnement créatif pas près de s’apaiser.
Peu disert dans les premiers instants, à quelques heures de son concert au Café de la danse, le géant canadien finira par se laisser aller à quelques digressions géopolitiques croustillantes et par nous révéler de surprenantes habitudes ornithophiliques. Un personnage insaisissable, parfaitement raccord avec son univers tant graphique que musical.
Pinkushion : Tu arrives de Barcelone ?
Chad Vangaalen : Oui, on a joué à Primavera il y a trois jours, c’était incroyable, le meilleur festival où je sois jamais allé, Neil Young et Sonic Youth sur la même scène…
A tes débuts tu parlais de Neil Young, à qui l’on te comparait souvent, comme d’un vieil emmerdeur et puis tu as vraiment découvert sa musique…
Oui, et maintenant c’est un de mes artistes préférés ! Après sa performance, tout le monde se sentait tout petit je crois, il a été si bon, ce type a 60 ans et envoie deux fois plus que des gars qui ont la moitié de son âge !
Tu vis à Calgary, est-ce que tu as l’impression d’appartenir à la belle scène rock canadienne, plus souvent basée à Montréal ou Toronto ?
Complètement. La population n’est pas si grande, on se rencontre tous, on tourne ensemble, on se sent vraiment proches les uns des autres, même si certains sont à Montréal ou Vancouver. Toute ma famille est à Vancouver, j’y vais très souvent, mais Calgary me convient vraiment, ça me permet de laisser cette vie de côté et de me consacrer à ma femme et à ma fille quand je suis à la maison.
Comment as-tu géré la diversité des genres abordés par les chansons de Soft Airplane ? Des morceaux purement folk, d’autres plus rock ou carrément electro…
Pour cet album, j’avais environ une cinquantaine de chansons et j’ai vraiment essayé de garder un fil conducteur. Pour les trucs électroniques, je travaille beaucoup là-dessus, je bricole des boîtes à rythme, je fabrique des synthés. C’est naturel pour moi de prendre ces sons et de les mettre dans de la musique folk, aussi étrange que ça puisse paraître. Mais je pense que les gens sont prêts pour ça maintenant, d’ailleurs beaucoup d’artistes expérimentent et mélangent des tas de genres différents. Pour ce qui est de la cohérence de l’album, je pense que les thèmes qui traversent toutes les chansons donnent une vraie unité au disque. Ma voix aussi, bien entendu.
Les fantômes, la mort, ton album est très hanté, les textes tout autant que la musique…
En fait, c’est plus une méditation sur la mort, comme un moyen de m’échapper de mon propre esprit, parce qu’il me semble qu’on n’arrivera jamais à la moindre conclusion sur le sujet, c’est comme penser à une chose tout à fait inconcevable. Je m’en sers pour sortir de moi-même parce que mes pensées ont tendance à tourner toujours autour des mêmes choses. Ça me force à être plus créatif. C’est bizarre, mais les gens tentent d’éviter le sujet au maximum, de le repousser, je préfère la célébrer, l’embrasser comme une fonction nécessaire de la vie.
Tu es dans le même état d’esprit quand tu dessines ?
Je me considère plus comme un illustrateur, peut-être parce que je fais ça depuis que je suis gamin. Mon père était peintre, j’ai donc grandi dans cet environnement, j’ai un peu étudié l’illustration, mais pas trop. C’est beaucoup plus simple que la musique : tu finis un dessin, tu l’accroches au mur et c’est terminé, tu peux passer à autre chose, tu n’as pas à le redessiner toutes les nuits. C’est la grande différence avec la musique.
Es-tu très productif ?
Je viens de finir deux nouveaux albums mais je ne sais pas quand ils sortiront.
Ont-ils été enregistrés dans les mêmes conditions que les trois premiers, à la maison ?
Oui, c’est une partie du secret, être capable de réagir très vite, ne pas avoir à payer quelqu’un… En plus si quelqu’un me regarde faire un truc, ça me bloque, surtout en studio. Je ne suis pas super bon dans plein de domaines alors j’aime bien prendre mon temps, expérimenter… Si vous payez un studio, vous ne pensez qu’au temps qui défile, plus à la musique, j’aime être plus détendu.
Comment appréhendes-tu ta voix ?
Je me sens de plus en plus à l’aise avec elle, mais franchement, je ne l’aime pas beaucoup, elle sonne un peu comme celle d’une vieille dame !
D’où énormément de réverb et de chœurs ?
Absolument, c’est pour ça que Julie (la claviériste, ndA) fait les chœurs sur scène, j’en ai vraiment besoin et j’adore les harmonies vocales, mais elle ne veut pas chanter la voix principale, alors je n’ai pas le choix !
Et lorsque tu joues seul, tu te samples ?
Non, je joue de la grosse caisse avec un pied, de la caisse claire avec l’autre, mais je ne le fais plus vraiment. Je crois que maintenant les gens attendent des orchestrations plus fournies en concert et il est plus facile pour moi de me concentrer sur la guitare et le chant quand je n’ai pas à penser à autre chose.
Arrivez-vous à tourner tout le temps en groupe ? Cela coûte forcément beaucoup plus cher…
Oui, on commence tout juste à rentabiliser parce que c’est très cher de venir en Europe, mais on préfère tellement jouer ici qu’aux États-Unis. On est mieux traités, la nourriture est meilleure, les gens plus gentils… Ça commence à être un petit peu moins rude pour nous aux USA, parce qu’on est un peu plus connus, les concerts sont un peu plus importants, mais c’est toujours très bizarre pour un Canadien de rouler à travers un pays « en guerre », de croiser des tanks et de voir que les gens sont OK avec ça, je sais pas, c’est étrange… Maintenant avec Obama, les choses vont peut-être s’améliorer…
Quels sont les rapports entre le Canada et les États-Unis ?
Les relations sont plutôt bonnes, mais quand Stephen Harper est devenu premier ministre, il y a quelques années, il a eu un peu trop tendance à serrer la main de George W. Bush, ce n’était pas une très bonne chose… Mais j’ai entendu que vous aviez le même en France !
Je crois que tu as connu une mésaventure avec l’énorme festival texan South by Southwest ?
Quand vous allez jouer aux États-Unis, vous devez acheter un « visa de travail » qui vous habilite pour trois ans. J’en avais acheté pour chacun des musiciens du groupe, 150 euros pièce, mais le mien avait expiré depuis trois jours. Je ne l’avais pas remarqué, mais à l’aéroport, ils ont refusé de me laisser embarquer. Je leur ai dit que je n’allais même pas gagner d’argent, que le voyage coûtait plus cher que le cachet qu’on allait toucher, que pas un dollar n’allait sortir du pays, mais parfois vous tombez sur la mauvaise personne… Le type est revenu en me disant qu’on pouvait me laisser entrer juste une fois, mais que ça me coûterait quelque chose comme 3000 dollars ! Je leur ai dit que le concert me rapporterait 400 dollars, que le vol m’en coûtait 500 et qu’ils aillent se faire foutre. Ils m’ont enfermé dans une pièce, car si vous refusez de partir à la dernière minute, ils doivent remplir les mêmes papiers que si vous aviez été arrêté ou quelque chose comme ça. Du coup, je me suis retrouvé retenu en otage dans ma propre ville pendant deux heures, par des autorités qui m’affirmaient que j’étais sur le sol américain !
Quand penses-tu revenir en Europe ?
Probablement à l’automne. Pour l’instant, je suis en train de retaper notre nouvelle maison et ça dépendra pas mal de ça, surtout que je construis aussi un studio sur le même terrain. Je dois y enregistrer l’album de Women avec qui j’ai pas mal tourné, je vais être assez occupé. Je viens juste de finir un court métrage animé de quinze minutes et je vais m’atteler à un long métrage cet hiver, d’ailleurs je construis aussi un studio d’animation dans la maison !
Tu as écrit le scénario du long ?
Oui. C’est ce que j’ai le plus envie de faire, des films. Ça me permet de composer la musique, de faire tous les dessins, de tout écrire, de tout filmer, c’est un monde tout entier. Ce sera une comédie musicale, c’est un très gros projet qui risque de me prendre six ou sept ans.
Pourrais-tu me citer quelques musiciens en activité dont tu te sens proche ?
Sonic Youth est probablement une très grosse influence sur moi. Après, je n’écoute pas beaucoup de musique d’aujourd’hui. J’écoute beaucoup de chants d’oiseaux, d’enregistrements de la nature et j’en réalise aussi d’ailleurs. Sinon, beaucoup de hip-hop, comme le Wu Tang…
Tu lis beaucoup ?
Quand j’ai le temps. En fait, ma copine me lit beaucoup de livres pendant que je dessine, c’est génial ! Kurt Vonnegut, John Irving, Philip K. Dick, pas mal de science-fiction… Mais K. Dick, c’est fou, c’est bien plus que de la SF, ça relève quasiment de la philosophie. J’adore Vonnegut qui joue le contraste entre des sujets très tristes et des environnements plutôt joyeux et Irving… Lui et ses personnages sont simplement cinglés !
Et la question rituelle pour finir : tes 5 albums fétiches ?
The Low end theory – A tribe called quest
Sister & Daydream Nation – Sonic Youth
Sonates et interludes pour piano préparé – John Cage
Electric counterpoint – Steve Reich
Sun ship & Interstellar space – John Coltrane
Credits photo : Pascal Amoyel