Les terroristes d’Atlanta frappent à nouveau à l’aveugle sur un disque chargé de cactus. Reste à éliminer le trop plein de bouillie sonore censé donner un genre…
Le combo le plus déjanté depuis longtemps revient à la charge à peine un an après un Good Bad Not Evil
retentissant. Ce quatrième album a été l’occasion de découvrir une bande de sales gosses, crades et vénéneux, et sans se forcer encore. Nettement mieux qu’une posture, un état d’esprit. Jouer défoncés des chansons de camés, vieille tradition punk que l’on pensait désormais révolue et que ces Américains remettent au goût du jour. Sur ce cinquième album, l’ambiance est la même et les chatons rotent toujours entre deux « fuck » bien sentis. On est donc en confiance puisqu’on joue désormais en terrain connu. Reste à savoir si le succès de Good Bad Not Evil était dû à sa seule réussite ou si The Black Lips est réellement un groupe qui nous aurait échappé jusque-là, pour cause de garage punk décidément trop approximatif dans sa réalisation. C’est à 200 Million Thousand que revient cette lourde charge de transformer l’essai.
A vrai dire, le cinquième album du quatuor est de prime abord un bon gros ratage comme seul l’univers punkoloïde les collectionne. En cause le fait d’avoir été imaginé/écrit/enregistré/livré beaucoup trop vite. On sait les musiciens alertes face à leur époque, on les découvre carrément témoins de l’actualité : du monstre autrichien Josef Fritzl (qui enferma pendant 24 ans sa fille et à qui il fit sept enfants) — « Trapped In A Basement » — à Barack Obama en président messianique noir — « Big Black Jesus Of Today », « Melt Down » –, l’année 2008 est brossée en un temps record sur ce disque sorti en début 2009. De là à crier à la précipitation, il n’y a qu’un pas si l’on ne prend pas le temps de s’attarder un peu sur ses organes. 200 Million Thousand n’a rien de l’évident coup de boule de son prédécesseur. Il se présenterait même presque comme boursoufflé. Avec un peu de recul, on en découvre le fautif : le son. Pourquoi s’évertuer à sonner vintage quand tout le monde s’en fout et cherche au contraire la limpidité ? Le côté dégueu en ressort de façon artificielle, et l’on se prend à imaginer ce qu’aurait donné ce disque entre les mains de Steve Albini ou Jay Mascis.
Heureusement, Jared Hondo Swilley, Ian Saint Pe, Joe Bradley et Oldkingcoleyounger en ont lourd sous la semelle et savent pondre des bombes à retardement bigrement réjouissantes sur scène. Pour être honnête, 200 Million Thousand est même une vraie réussite sur le plan des compositions. Ivresse des coups d’accélérateur, jouissance de coups de tatanes, plaisir sensuel de la morve, rien n’échappe au quatuor qui érige un véritable autel à leur dieu Jean Osterberg — Iggy Pop à la ville –, repris sur un « Again & Again » d’anthologie. On les voit même parodier avec (une certaine idée du) brio le rap west-coast sur la glauque « The Drop I Hold » ou rendre un bel hommage au Velvet Underground sur une « Old Man » plus vraie que nature.
Mis à part ces quelques socles de la street-culture américaine sous toutes ses formes, inutile de référencer tous les styles convoqués une fois de plus par les lèvres noires. Saluons au contraire l’aisance avec laquelle ils s’ébattent dans 40 ans de garage-rock ricain, plus riche, plus crade, plus stylé mais moins populaire que son cousin britannique. Les quinze titres jetés à terre sont tous de violentes célébrations du trio guitare/basse/batterie, occasionnellement à la joie en torturant un piano ou un clavier perdu là.
On redécouvre aussi les prouesses textuelles (vous n’avez pas lu « sexuelles ») des lascars, dans ces paroles ô combien personnelles (rires), avec leur part d’amitié virile — « I’ll Be with You » –, de renouveau vital — « Starting Over » — ou même d’émoi face aux affres de la paternité — la bien nommée « Let it Grow ». Et pour les durs de la feuille ou les anglophobes, chaque chanson comporte son petit laïus explicatif, souvent drôle, parfois troublant, mais jamais dénué de (non-)sens. Et au cas où, le CD est livré avec un long texte (inutile, cette fois) d’un ami ghanéen, Baby Gusty, qui rappelle combien les Black Lips sont un groupe de leur époque, des jeunes qui parlent aux jeunes. Bref, tout est fait pour lever toute ambiguïté. Mais cette mise en situation était-elle nécessaire tant cette musique est directe et s’adresse d’abord au foie, lieu d’entrée rarement exploité pour atteindre le cerveau ? Quoiqu’il en soit, passé le mur du son évoqué plus haut, on prend un pied phénoménal une fois de plus à écouter ce sale rock qui fait peur aux mamies et à leurs caniches. Fuck off !!
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