Il faudra un jour graver sur la pierre le nom de ces bâtisseurs du rock outrancier, maîtres de surprenantes compositions alambiquées et grands manipulateurs du lyrisme jusqu’au-boutiste. Avec ses boursoufflures et ses flamboyances, Trail of Dead est le digne reflet des maux de notre temps.


Les texans de Trail of Dead n’ont jamais craint de franchir le rubicon rock de la démesure et du lyrisme exacerbé. Quitte à perdre en route une partie de leur public. On observe en effet une scission distincte dans son cercle fanatique depuis l’insurpassable Source Tags & Codes (2001). Pas encore revenus de ce chef-d’œuvre, ceux-là ont sans rémission jeté aux cachots la troupe tenue par les multi-instrumentistes surdoués Jason Reece, Conrad Keely (chanteur principal) et le guitariste Kevin Allen pour leur trop plein d’ambition sur le successeur Worlds Apart (2004). Belle injustice que voilà. Cette œuvre se voulait grandiloquente et épique jusqu’à la mort avec ses accords pianos tremblants, ses guitares ardentes et ses doubles grosses caisses colossales aux secousses capables de provoquer la séparation de deux continents reliés. Un disque immense, acharné, voire obsessionnel dans le souci porté aux compositions et, de ce fait, captivant de bout en bout.

Toujours est il que Trail of Dead ne se soucie guère des apparences et des malentendus : ça ressemble à du hard rock progressif (reconnaissons ses pochettes héroïco-fantaisiste douteuses), ça a le goût du hard rock progressif (compositions imprévisibles, quoique…) mais ce n’est en aucun cas du hard rock progressif. La différence majeure étant que le sextet — bien qu’aguerri à une technique surdéveloppée et possédant deux batteurs — n’a d’yeux et d’oreilles que pour les monumentales fresques où culmine le frisson pur, tout en évitant soigneusement de s’engoncer dans la démonstration instrumentale so(lo)mnifère. En ce sens, Trail of Dead à plutôt à voir avec la flamboyance post-rock de ses frères d’armes d’Austin, Explosion In The Sky, ou encore avec la résurrection noisy rock d’un feu Lift To Experience (autres cousins du Texas).

The Century of Self, sixième offrande au dieu Isis et à son public, reprend les choses ou Worlds Apart les avaient laissées après le plutôt terne So Divided (2006), qui ne manquait cependant pas d’ironie dans son titre. L’un des points d’orgue du disque est “Isis Unveiled”, majestueuse course-poursuite avec un démon libéré dans un labyrinthe qu’on prédit sans échappatoire. Cette suite au non moins impressionnant “Ode to Isis” (2004) est à la hauteur des plus puissantes mélopées entendues chez les parents texans cités plus haut, ou autres étoiles prestigieuses du label Constellation.

Bien entendu, on pourra répugner à une telle propension pour ce gigantisme doré aux entournures. Pour pleinement apprécier Trail of Dead, il faut savoir passer outre certaines faiblesses récurrentes sur leurs disques — ici “Insatiable One” et ses accordéons miséreux qui évoquent au mieux le Yann Tiersen de Montmartre… Mais lorsque le peloton texan, que l’on pensait genoux à terre, se relève pour se mettre en marche — “Inland Sea”, le dantesque “Bells of Creation”, « Fields of Choral » — Dieu quelle allure !

Finalement, Trail of Dead, c’est un peu l’histoire de la bataille perdue d’avance des Thermopiles : bien que l’héroïsme de ses surhommes semble un peu dépassé, l’histoire n’a retenu que la dramaturgie du sacrifice. Reste enfin que ne peut être remise en cause l’audace, le cœur dévoué et le travail colossal abattu par ces valeureux spartiates du rock. Rendons alors hommage à …And You Will Know Us by the Trail of Dead : ceux qui sont prêts à mourir pour leur cause méritent d’être salués.

– Ecouter le titre « Inland Sea » :

– Site Myspace