Les nouvelles coqueluches de la scène indie rock new yorkaise, Pains Of Being Pure At Heart, attendaient ce concert au Batofar avec impatience. Imaginez, jouer pour la première fois à Paris sur une péniche, on ne voit ça que sur la vieille Europe ! Cette prestation restera ancrée dans la mémoire du groupe, d’autant qu’elle clôt en beauté la dernière date d’une tournée qui les a vus traverser toute l’Europe.


Décidément, le badge Papas Fritas épinglé sur mon sac fait toujours son petit effet. Après Colin Newman (Wire), c’est au tour de Kip Berman (chant, guitares) de remarquer la décoration, « l’un des premiers groupes qui ont compté pour moi » ajoute-t-il avec une pointe de nostalgie. Il est vrai que cette épingle vaut toutes les légions d’honneur du monde remises par notre président… Accompagné de Peggy Wang (claviers, choeurs), petite japonaise souriante et enthousiaste, notre grand garçon méché à l’allure longiligne, que l’on jurerait fan de Suede (après vérification, dans le mille), nous fait part de quelques réflexions sur l’écriture de la chanson pop parfaite, les paroles mystérieuses de Sonic Youth, les scènes de Manchester et Glasgow… Aux dires de l’attaché de presse, les quelques questions de journalistes, envoyées précédemment par mail, trouvèrent des réponses lapidaires. Heureusement, les peines d’être pur de coeur s’avèrent nettement plus courtois si l’on prend le temps d’aller à leur rencontre. Oui, rencontrer des musiciens, cela vaut parfois le détour.

Pinkushion : Alors comment s’est déroulée cette tournée à travers l’Europe ?

Kip Berman : ça a été tellement fun et si loin. En Europe les distances sont longues, mais à chaque nouvelle étape, un public nouveau nous attendait, et c’était incroyable.

Comment se sont passés les concerts en Angleterre ?

Peggy Wang : Ils furent très bons. Je ne me suis jamais sentie embarrassée lors de ces concerts, alors que ce fut souvent le cas précédemment (rires). Nous avons joué dans davantage de clubs que sur la tournée précédente et donné parmi nos meilleurs concerts jusqu’ici; c’est vite devenu ma tournée favorite (rires). Le public est très respectueux ici.

Kip Berman : Le public était très enthousiaste. C’était aussi la première fois que nous tournions avec l’album en support, et je pense que ça a fait toute la différence. Les gens connaissaient les chansons, chantaient et dansaient. C’est vraiment agréable à voir.

Ce qui m’a frappé sur ce premier album, c’est qu’il sonne comme un best of. Il y a un sacré nombre de bonnes chansons dessus. Je me demandais si ce résultat découlait d’une collection de chansons écrites depuis des années, ou bien s’il s’agissait de chansons récentes ?

Kip Berman : Merci beaucoup ! Pour tout dire, le groupe s’est formé voilà deux ans. Nous avons composé un certain nombre de chansons durant cette période. Il est certain que nous avons choisi les meilleures du lot mais il n’y a pas vraiment d’idées de sélection préconçues derrière, du genre si un titre se marie bien avec un autre. Nous avons sélectionné dix chansons en faisant en sorte que l’album soit concis et pas trop long.

Que l’album soit court était une condition importante ?

Kip Berman : Oui. Ce n’est pas si ridicule, l’album dure trente cinq minutes, mais j’aime beaucoup les groupes qui sont concis. Spécialement lorsqu’il s’agit d’un premier album, comme dans notre cas. C’est logique de faire en sorte que les gens se focalisent sur une demi-heure. J’ai tendance à penser que ça ne sert à rien d’en rajouter. Il est plus intéressant de donner le meilleur de soi-même de la manière la plus directe qui soit, et espérer que le public réponde à cet amour.

Combien de chansons aviez-vous en stock avant d’entrer en studio ?

Peggy Wang : Deux chansons enregistrées en studio n’ont pas été incluses dans l’album, mais nous avons accumulé beaucoup de démos avant cela.

Kip Berman : Il y avait peut-être une centaine de chansons, mais celles sur l’album se sont imposées d’elles-mêmes. Ce sont toujours les mêmes que nous jouons chaque soir. Nous avons tellement tourné après l’album, fait tellement de concerts, ces chansons ne nous lassent toujours pas, on prend toujours autant de plaisir à les jouer. Je pense donc que nous avons fait le bon choix en terme de tournée (rires).

Kip Berman et Peggy Wang

La production d’Archie Moore (Velocity Girl), est très shoegazing. Comment s’est déroulée votre rencontre ?

Kip Berman : Il a fait un travail formidable. Nous avons écrit à notre label US Slumberland pour leur demander s’ils connaissaient quelqu’un qui possédait un studio d’enregistrement et qui pourrait nous aider à produire et mixer quelques titres. Bien que nous en avions déjà enregistré certains, nous avions besoin du soutien d’un producteur dans le processus d’enregistrement, car nous manquions d’expérience pour un premier album et ne savions pas trop dans quelle direction aller. Au début des années 90, Archie Moore avait formé deux groupes, Black Tambourine et Velocity Girl, tous deux signés sur Slumberland. C’était donc un vieil ami du label et son nom s’est imposé. Il a vraiment travaillé dur sur ce disque. Les gens nous complimentent, mais Archie mérite autant ces louanges, son rôle est fondamental.

En effet, superposer toutes ces impressionnantes guitares noisy aux harmonies ne doit pas être une partie de plaisir.

Kip Berman : Effectivement, cela a pris pas mal de temps pour placer les micros, pratiquement une semaine pour obtenir parfaitement ce que nous voulions. Mais nous avons travaillé de notre côté durant ce temps libre (rires).

Prenez-vous le temps d’expérimenter en studio ?

Kip Berman : Nous avions un budget. Pour des raisons économiques, nous n’avons donc pas expérimenté autant que nous le souhaitions en studio. On ne pouvait pas se permettre de tourner en rond, allumer les amplis puis quitter la pièce durant trois heures afin de voir comment cela sonnerait. Nos motivations étaient plutôt de faire les choses au plus vite et efficacement. Nous aurions peut-être dû passer plus de temps à essayer 83 amplis de guitare, mais je pense que c’est une bonne chose, finalement. Les gens oublient parfois que ce sont les chansons qui importent le plus.

Peggy Wang : Je pense que ce sont les chansons qui font que l’album sonne bien, la façon dont les éléments s’imbriquent, c’est très important. Nous travaillons de façon naturelle, et je suppose que cela fonctionne.

On entend souvent dire des artistes que les meilleures chansons sont celles qui viennent le plus facilement.

Peggy Wang : Je n’ai jamais trouvé difficile d’écrire des pop songs. C’est un peu comme une relation sentimentale, ou une amitié. Si le travail était trop dur, nous aurions probablement abandonné. Je veux dire, nous travaillons dur en tant que groupe mais dans le sens du processus créatif, non pas en tant que moteur (« leading force »).

Kip Berman : Et particulièrement en pop. Bien sûr, il y a différentes manières de considérer la création artistique, un fou génial qui crée d’étranges compositions sonores peut apporter des choses intéressantes. Mais dans le domaine de la chanson pop, il te faut être instantané et que les gens sentent cet esprit qui s’en dégage. Et il faut parfois s’acharner pour obtenir ce résultat mémorable.

Ne penses-tu pas que cela devient de plus en plus difficile d’écrire des chansons pop simples ? Il y a tellement de groupes qui utilisent les mêmes progressions d’accords.

Kip Berman : Tout semble nouveau pour nous lorsque nous créons de la musique. Sincèrement, je ne pense jamais avoir en tête ce que les autres groupes ont fait avant nous. On essaie plutôt de faire en sorte que le morceau sonne au mieux. Si une nouvelle composition rappelle aux gens un autre groupe qu’ils aiment, ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Finalement, les chansons aujourd’hui devraient être meilleures qu’avant, les groupes progressent et essaient d’être plus originaux à chaque disque. Aussi, comme je le disais, nous ne sommes pas un groupe avant-gardiste, mais un pop-band, on essaie de rendre les gens heureux. En termes d’innovation, progresser dans le songwriting — qu’est-ce qu’on veut raconter et comment le raconter — serait davantage mon but, mon exploration artistique dirons-nous.

En termes de carrière artistique, vous vous orientez donc davantage vers le chemin emprunté par les Go-Betweens, des purs artisans de la pop mélodique, que vers les prospections sonores de David Bowie sur chaque nouvel album.

Kip Berman : Avant tout, les choix artistiques doivent demeurer naturels et non pas forcés.

Peggy Wang : Si nous avions pensé ainsi, nous aurions peut-être fait un disque de krautrock (rires).

Kip Berman : Si nous pensons, par exemple, que le prochain album devrait sonner comme les Smashing Pumpkins, ce ne serait pas bon pour le processus créatif du groupe. On n’a pas envie de trop calculer, comme Madonna par exemple. Je ne sais pas, on fait l’album comme on le sent.

Peggy Wang : On ne ressemble pas vraiment aux Go-Betweens, même si je les aime beaucoup, c’est un de mes groupes préférés.

Kip Berman : Les gens ont des opinions différents chaque jour. J’aime aussi bien T-Rex, The New York Dolls que David Bowie, mais pour nous il est plus important d’être honnête et de faire la musique qui nous importe.

Peggy : C’est un peu le même sentiment embarrassant que lorsque tu achètes un album d’un artiste recommandé par un ami et que finalement tu n’aimes pas. La personne te dit alors « non, non, ce n’est pas le bon album ». Mais qu’est-ce que cela signifie, un bon album ? J’aime autant écouter un single impressionnant sur un album moyen, que plein de chansons moyennes sur un bon album. Enfin, c’est mon opinion.

Votre définition de la chanson parfaite ?

Kip Berman : Je dirais que la quête de la chanson pop parfaite consiste d’avantage à extraire quelque chose que l’on aime et naturellement d’en faire la définition suprême. C’est quelque chose de très émotionnel et donc très personnel, mais c’est aussi une très belle idée. Il s’agit de donner le meilleur de soi-même. En ce sens, on essaie de donner le meilleur de nous même, mais ce n’est pas comme si on un jour on écrivait une chanson comme “Come Saturday” et que le but serait définitivement atteint. On tend toujours vers la perfection. J’aime beaucoup “Come Saturday”, mais je serais incapable de dire si elle est ma chanson parfaite.

Peggy Wang : Même pour une chanson que j’adore et que j’ai énormément écoutée, je serais incapable de dire que c’est la chanson parfaite. Il y a une chanson pour chaque humeur, chaque période… Il y a des chansons que j’ai tellement écoutées avant de passer à autre chose.

Beaucoup de noms reviennent dans les articles qui vous sont consacrés pour évoquer vos influences : Field Mice, Belle & Sebastien ou des groupes shoegazing. Personnellement, j’y ai aussi entendu le romantisme de Prefab Sprout.

Peggy Wang : A vrai dire, je ne les ai jamais vraiment écoutés. Mais j’aime bien des groupes dans le genre, comme Atzec Camera…

Kip Berman : Kurt, notre batteur, est un très grand admirateur de Prefab Sprout, particulièrement l’album Steve McQueen. Je crois que dans le groupe on aime aussi tous OMD, il y a des chansons très mélodiques et directes, elles vont à l’essentiel, accessibles et merveilleuses.

Peggy : Il y a pas mal de groupes parmi lesquels on tombe tous d’accord. Mais on a aussi souvent différents goûts. Kurt aime le côté polissé, immaculé, il achète beaucoup de disques ; moi j’aime davantage la lumière, les bulles et les flashes. Des choses gaies (rires).

Kip Berman : Personnellement, j’aime les groupes à guitares des années 90. Par exemple, je trouve la chanson “Girl From Mars” de Ash merveilleuse. Voilà probablement le genre de pop song parfaite que je citerais, pour ce sentiment de bonheur, presque extatique. “Paint A Rainbow” de My Bloody Valentine me procure aussi cet effet émotionnel.

Alex, The Pains of Being pure at heart

Si vous deviez citer un autre mode d’expression artistique en dehors de la musique, lequel serait-il ?

Peggy Wang : Kip, je sais que tu aimerais parler de peep shows ! (rires)

Kip Berman : C’est dur à dire (rires). Bien sûr il y a beaucoup de choses qui nous influencent inconsciemment. Si tu ne t’assois pas pour écrire une chanson, d’une manière étrange, un bouquin que tu viens juste de lire peut influencer ta perception des choses. La musique est basée sur nos expériences de la vraie vie. Tout peut devenir une expérience, un infime détail comme se lever le matin ou plus concrètement nos relations sentimentales. Ce serait plus cool évidemment de citer un livre de Flaubert lu en version originale (rires) mais, la vérité, c’est que nous sommes influencés par le quotidien.

Je vais un peu grossir les traits, mais vos paroles m’évoquent les sentiments d’un adolescent timide amoureux de sa meilleure amie. Comment te viennent ces textes ?

Kip Berman : De souvenirs qui proviennent de ma vie ou bien celle de mes amis. Comme grandir, avec le temps qui estompe les souvenirs sentimentaux, ce genre de sentiments que je mets sur papier. Après, savoir comment ces textes me viennent dans la tête, c’est un peu inexplicable, comme processus…

Cette chanson, “This Love is Fucking Right” avec ses paroles très innocentes, est un peu inhabituelle par les temps qui courent. En même temps, il y a quelque chose d’ambigu, car on ignore si la personne s’adresse à un amoureux ou un ami.

Kip Berman : C’est une chanson qui parle de chagrin, mais j’aime l’idée que l’auditeur puisse interpréter librement les paroles, voire compléter l’histoire. Ce genre de paroles donnent à l’auditeur le plaisir de laisser la chanson suivre son propre chemin. C’est ça qui est bien chez Sonic Youth, je ne comprends pas toujours leurs paroles, mais je peux imaginer des situations de ma vie qui peuvent être liées. Parfois, tu peux écouter un morceau plusieurs fois et interpréter en même temps différemment son sens. J’aime cette idée.

Aimes-tu un parolier comme Morrissey ?

Kip Berman : Oh oui ! Nous avons joué à l’occasion de ses cinquante ans à Manchester, c’est un héros national là-bas. Une fête avait été organisée pour l’évènement. Nous ne l’avons pas rencontré car nous jouions dans une autre salle au même moment, probablement plus petite que la sienne (rires). C’était un sentiment très fort que d’être dans cette ville, j’ai écouté tellement de ces groupes. Pas seulement les Smiths, mais aussi James, House Of Love qui ont écrit des chansons fantastiques (ndlr, petite confusion dans la tête de Kimp que les gardiens de la maison d’amour rectifieront, House of Love était originaire de Londres), Stone Roses et bien sûr les vieux Factory… Je placerais d’ailleurs certainement Joy Division en tête de la liste.

Peggy Wang : The Wake demeure mon groupe préféré de Factory.

Kip Berman : Un groupe de Glasgow d’ailleurs. Cette ville aussi représentait beaucoup musicalement pour nous, on voulait y jouer. Il y a quelques endroits vraiment spéciaux, des pubs où des groupes locaux comme Teenage Fanclub, The Vaselines, The Pastels ont joué ou jouent toujours régulièrement… C’était important de jouer dans cette ville d’où viennent ces groupes.

Enfin, pouvez-vous donner vos cinq albums favoris de tous les temps ?

Peggy :

Magnetic FieldsHoliday

The WakeHere Comes Everybody

Smashing PumpkinsSiamese Dreams

BreedersLast Splash

Orange Juice You Can’t Hide Your Love Forever

Kimp :

SuedeDog Man Star

PulpHis n’ Hers

My FavoriteLove AT Absolute Zero

Belle & SebastianThe Boy With The Arab Strap

RocketshipA Certain Smile, A Certain Sadness

– Site officiel

– Lire également la chronique de l’album The Pains of Being Pure at Heart

Crédits photo Pascal Amoyel

Interview menée avec l’amical renfort d’Umut Ungan

Remerciements à Lena