Un nouvel album littéralement atypique des texans de Balmorhea en forme d’aventure qui nous rappelle que les voyageurs sont ceux-là seuls qui partent.


Il y a à peine un an que les texans de Balmorhea nous ont offert en River’s Arms, un havre sonore, une oasis musicale, un Eden d’harmonies, un refuge délicat, étal, où chacun pouvait se recueillir et s’oublier. Au calme succède aujourd’hui l’agitation, au doux bercement d’une mer d’huile et de compositions fluides et minimales se substituent, avec ce nouvel album, les variations mélodiques d’âmes tourmentées, et à l’expression d’une sereine mélancolie fait place l’irruption d’humeurs troublées et troublantes comme le bouillonnement confus d’un appel à l’aventure. Si le premier disque avait dessiné les frontières d’un territoire sonore idyllique et bucolique, tout se passe comme si, désormais, Balmorhea reprenait les vers de Baudelaire et criait à l’unisson : « Ce pays nous ennuie, ô mort, appareillons ».

All is Wild, All is Silent, titre de ce nouvel opus, déroute d’emblée par la récurrence et l’importance architectonique des voix, par le caractère massif et impétueux des orchestrations, par l’aspect amplifié des instrumentations, et par l’utilisation, inattendue et répétée, d’une guitare électrique. Si tout est effectivement sauvage, le silence, lui, paraît plein de bruits. Ainsi, quand les voix consistaient en samples de rires d’enfants, en murmures apaisés, elles sont désormais des râles collectifs d’épuisement ou des choeurs graves et prégnants accentués par des claquements de mains s’abattant telle la houle sur la coque d’un navire. L’ensemble donne alors l’impression d’une suractivité harassante, d’un combat héroïque contre les Éléments.

Dès “Settler”, l’attaque de cordes, l’insistance nouvelle des notes du piano, la congruence des cymbales font ressentir une collective précipitation, n’évoquant plus tant Arvo Part que Philip Glass et ses envolées tourbillonnantes. Ainsi que les créations de leur illustre aîné, tous ces mouvements emportés, de “Settler” à “Harm and Boon,” “Coahuila” et “Truth”, sont marqués par une accalmie, une inflexion qui rompt prématurément le rythme des morceaux comme si les instruments s’essoufflaient, s’épuisaient. Pour mieux échapper à la monotonie même de la grandiloquence, ce sont alors les chants et le tapotement des mains qui viennent relancer, voire élancer la mélodie, et figurer l’énergique élan d’un (re)commencement.

A ces arythmies fécondes succèdent, presque systématiquement, des plages d’apaisement, comme si Balmorhea nous jetait dans le creux de la vague en autant de moments de suspension et d’appréhension avant le déchaînement du roulis : “March 4 1831” et ses arpèges nuancés, “Elegy” offrant un filet de latence par ses cordes pincées à l’excès ou encore “Remenbrance” dont la gravité de la voix n’est pas sans évoquer le chant religieux et la désespérance jusqu’à ce que des roulements de batterie volontaires et robustes engendrent comme une révolte, et deviennent un appel à l’odyssée.

“Truth”, enfin, s’ouvre sur un violon esseulé accompagné de façon intermittente par les lacis harmoniques d’une guitare électrique tintant à la façon d’un sémaphore, tel un phare lointain. A force le rythme lancinant s’apparente au balancement d’un navire. Puis, insensiblement, les instruments un à un se conjoignent, semblent s’observer, et la répétition des notes alors se fait étourdissante. Comme une délivrance soudaine et nécessaire le mouvement devient effréné, puissant, pressant et cadencé, le morceau prend la forme d’une course épique. Le calme et la sérénité revenus, on gît, éprouvé, et pénétré du sentiment que l’on vient de participer au récit d’une tumultueuse arrivée au port.

Le disque se construit autour de l’alternance entre des mouvements épiques et des stases lyriques, entre la congruence des cordes, se confondant et s’entraînant les unes les autres, et des instants où, en une saillance, l’un des instruments, piano ou violoncelle, surgit et prend en charge la langueur mélodique. Album qui paraît avoir été créé au fil de l’eau, les compositions de Balmorhea font résonner les vicissitudes du courant, en incarnent le tumulte des torrents, la puissance des vagues mais aussi l’apaisante ondulation du ressac. Cette musique, irrésistiblement, nous prend comme une mer et donne le La de nos humeurs vagabondes.

La musique de Balmorhea, fait entendre au loin, ici et à tous, le grondement de la bataille qui hante l’abîme de nos intériorités sauvages et faussement silencieuses.

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– En écoute : « Remembrance »