Sur le papier, photo en noir et blanc de William Claxton à l’appui, The Bright Mississippi sentait bon la musique amidonnée avec papy Toussaint sur le retour (son dernier enregistrement date de 1996) en porte-drapeau d’un jazz New Orleans ripoliné plus vivant que jamais malgré les tempêtes essuyées. À bien l’écouter, c’est une autre histoire (la petite voudrait justement que le légendaire pianiste/producteur ait décidé d’enregistrer ce disque suite à sa délocalisation forcée post-Katrina vers New York en 2005), et celle-là mérite amplement le détour. The Bright Mississippi apparaît même dans son genre (un hommage teinté de mélancolie à de célèbres figures de la Nouvelle-Orléans) comme un modèle d’actualisation du répertoire convoqué — Sidney Bechet, Jelly Roll Morton, King Oliver, Django Reinhardt, Duke Ellington, Thelonious Monk. Cela pour au moins deux raisons notables. Tout d’abord, la production du méticuleux Joe Henry instaure une ambiance mississipienne idoine, languide et colorée, rendue grâce à une large profondeur de champ et une scène sonore ample mais parfaitement focalisée sur chaque instrument — la guitare acoustique de Marc Ribot, la contrebasse de David Piltch, la batterie de Jay Bellerose, la clarinette de Don Byron et la trompette de Nicholas Payton — restitué dans le moindre détail, avec un sens du relief et du naturel qui exhale un parfum enivrant. Ensuite, la direction des musiciens (comme on le dit des acteurs pour un film) s’avère particulièrement judicieuse et opposée à toute vaine démonstration : mesure et patience sont les leitmotiv de cet enregistrement recueilli où la qualité et la justesse des interventions priment sur la mise en danger — hors sujet ici. Quant à Allen Toussaint, son toucher atteint sur The Bright Mississippi une forme de sérénité et d’évidence impériales, notamment sur le titre éponyme emprunté à Monk : légèrement plus enlevée que l’originale, cette version dépoussiérée privilégie une forme de musicalité immédiate et pleine de candeur qui ne saurait, toutefois, dissimuler bien longtemps la part de tragique inhérente à toute existence. Du bel ouvrage assurément.

– La page de Allen Toussaint sur le site du label Nonesuch

– En écoute : « The Bright Mississippi »