Sorti en 2006, le mésestimé — ce grand disque de rupture suivi d’un live (Mulitshow Ao Vivo, 2007) passé complètement inaperçu — aura ouvert les portes d’une nouvelle ère créative dans la déjà exemplaire discographie de Caetano Veloso. Enregistré dans l’urgence et en formation réduite, cet album très personnel de rocksamba n’avait rien d’un caprice juvénile, comme en atteste aujourd’hui sans ambages Zii e Zie qui participe d’un semblable minimalisme et réunit autour de l’élégant Brésilien le même groupe : Pedro Sá à la guitare électrique, Marcello Callado à la batterie, Ricardo Dias Gomes aux claviers. Soudés comme un seul homme par l’expérience revigorante et extatique de la scène, les musiciens ont à l’évidence enrichi leurs relations instrumentales qui ont perdu en spontanéité et désinvolture ce qu’elles ont gagné en complémentarité et harmonie. Une série de concerts donnés à travers le monde qui ont ensuite été l’occasion pour Veloso de recueillir, via Internet, les impressions de son public, dont les mots et les maux ont constitué la matière première de ses nouvelles chansons qui promènent leur révolte des favelas de Rio à la Maison Blanche de Washington, en passant par la prison de Guantánamo et les grottes talibannes d’Afghanistan. Politisé comme il se doit, mais très éloigné toutefois de la fièvre formelle du tropicalisme, cette marotte journalistique à laquelle on continue de faire référence à son endroit comme si cette insurrection musicale n’avait aucun point d’ancrage historique (la dictature militaire de l’après Goulart à la fin des années 60) et esthétique (style fragmentaire, citationnel et télégraphique) précis, le bahiannais badine avec les styles (samba, rock, funk, jazz) sans prétendre à renverser la vapeur. À l’instar de sa superbe version épurée de “Incompatibilidade de Gênios” de João Bosco, réduite à une rythmique obstinée et des arpèges de guitare répétitifs, Veloso oeuvre moins à faire perdurer une révolution enterrée avec Tropicalia 2 (1994), qu’à couper le cordon en retranchant jusqu’à l’os les gimmicks de chaque idiome musical abordé. Plutôt à rapprocher de celle du cubain Alfredo Triff que de son compatriote Tom Zé, la musique du Brésilien distille à présent une beauté trouble dont la brutalité intrinsèque côtoie la douceur des choses premières, ces racines que l’on déterre pour renaître — encore une fois.

– Le site de Caetano Veloso

– En écoute : « Incompatibilidade de Gênios »