David Freel est un homme libre et tient à le prouver. Ce disque solo inattendu le démontre de manière magistrale : il est en effet désormais libre de ne plus s’appeler Swell.
David Freel est vraiment déroutant. Au moment où l’on croit Swell reparti comme en 40 (enfin, comme en 97 plutôt), sur la foi d’un nouvel album tout à fait honorable, South Of The Rain And Snow (2008), et d’un recueil vénéneux de chutes de studio, The Lost Album (2008), il revient quasi-anonymement sous ce pseudo gai comme un pinson. Certes, son groupe n’est plus réduit qu’à sa seule personne, mais on pensait sa retraite non négociable. L’appel du large a dû être trop fort, et les sirènes du songwriting semblent plus tenaces qu’il n’y paraît. Quand le fauve est relâché, et quand il s’appelle David Freel, il atteint sans tarder des sommets.
Rétrospectivement, South Of The Rain And Snow peut sembler comme une simple mise en jambe pour lui, et une mise en bouche pour nous. Car ce nouveau projet renoue avec ce qui fit sa marque de fabrique lorsqu’il était encore accompagné de Monte Vallier et Sean Kirkpatrick, à savoir économie d’écriture, absence d’effets synthétiques, boucles de guitares acoustique ou électrique, voix endormie. Et toujours cette noirceur insidieuse, une violence comprimée, jugulée, qui imprègne des paroles toujours sur le fil, et transparaît en filigrane dans cette mise en abîme des quelques arrangements utilisés. Ce qui distingue un bon album de David Freel/Swell d’un album moins bon tient finalement à très peu de choses. Outre une écriture peut-être un peu plu aventurière sur ce dernier volet, ce qui fait réellement la différence — on s’en rend compte aujourd’hui — est la sécheresse de l’interprétation et l’attaque de la six cordes. Epaulé par Ron Burns à la batterie, Freel aime à varier les plaisirs, à sauter d’un espace à l’autre, mais toujours dans des tons crépusculaires et nébuleux. Camaïeu de gris, variations de blanc, et quelques touches de braise. March/2009 est un de ses albums parmi les plus sombres.
Malgré cette grisaille latente, Freel renoue avec une immédiateté de bon aloi. Passée l’aridité de la bien nommée “Come Livid”, l’américain aligne coup sur coup deux mélopées psyché-folk de haute volée, évoquant le meilleur Pink Floyd (comme à ses débuts). D’abord “I Miss Your Mischief”, son débris de guitare folk et sa batterie assoiffée, parfaite bande-son d’une ballade main dans la main avec la Camarde sur les rives d’une rivière asséchée. Puis au tour de son ombre, “Bad Bad Bad”, de tutoyer les anges déchus, par la grâce d’un chant résolument désespéré et d’éclairs de guitare électrique qui viennent étriller la ligne de guitare folk, un vrai pic de l’album.
S’ensuit une impression de nonchalance désabusée sur une galerie de vignettes désincarnées ou au contraire en quête d’innocence, mais toujours la fleur au bout des lèvres et le poignard enfoncé jusqu’à la garde dans le foie. Lente promenade qui nous guide jusqu’à la beauté noire de “Focus Please”, l’autre grand moment du disque, construit sur le même principe que les deux précédents, avec une guitare folk en goguette et en sang, maltraitée par de courts coups de dents électriques qui peinent à cacher l’arrogance de Freel, exprimée ici par un sifflement lointain. Et ce sommet nous ouvre la voie sur une descente rocailleuse, que l’on emprunte à dos de vieux canasson, et qui nous dépose délicatement sur une “Last Song” que l’on peine à croire réelle.
Que cette aridité ne freine pas les curieux, car en creux Freel ne propose rien de moins que les lymphes de la musique folk, soit une partie de ce qui lui permet de vivre et qui n’est pas forcément ce que l’on admirera en premier. Pour autant son âme y est omniprésente, avec cette introspection saignante et cette sensation de solitude qui envahit l’oeuvre du san-franciscain. D’autant que derrière le patronyme de Be My Weapon, il dégaine ses armes de précision et y pratique une frappe chirurgicale. Derrière son extrême exigence qui tranche dans une époque où le folk-rock verse plus dans la pop que dans la marche funèbre, et malgré son apparente modestie, March/2009 est un grand disque à côté duquel il serait regrettable de passer.
– Le MySpace dédié au projet
– Be My Weapon sur le site de Talitres
– En écoute “Focus Please” :