Le second album des anglais Noah and The Whale a la forme d’une complainte lumineuse qui se donne aussi comme un hommage à des musiciens illustres et des cinéastes qui le deviendront. A écouter autant qu’à regarder.
Tout commence par une scansion funèbre, un battement sourd, quelques accords de guitare et au loin un violon qui ne cesse de monter. Puis le silence. Lancinante, la mélodie se voit grever de la voix accablée, lente et grave de Charlie Fink prononçant les paroles éponymes de l’album : « It’s The First Day of Spring » et de rajouter « and my life is starting over again ». Aussitôt, et paradoxalement, l’annonce de ce printemps souffle le froid et la désespérance, l’épuisement et la privation, le vague à l’âme. Ainsi, la tonalité d’ensemble du second album de Noah and The Whale sera mélancolique ou ne sera pas, et multipliera les figures de la lamentation au travers du récit inspiré d’une histoire d’amour qui… finit mal.
Il est rare que ce dandysme ne lasse pas, soit par son impudeur juvénile, soit parce que les vibrations d’un coeur délaissé sont trop souvent monotones. Mais voilà, il y a dans ce groupe et dans ce disque une dimension labyrinthique, comme un jeu de piste, dans lequel chaque mouvement fait signe à la fois vers les émotions qui l’ont inspirées mais aussi, voire surtout, vers les influences qui l’ont engendrées. Tout se passe alors comme si, en un sectarisme assumé, comme peuvent le faire des adolescents passionnés (ou simplement des passionnés), le groupe s’adressait d’abord à ceux qui peuvent les comprendre en remplissant leurs titres de références, de clins d’oeil, de liaisons avouées avec des modèles souvent illustres.
A ce jeu du « à qui ces cordes délicates, cette voix traînante, ce choeur grandiloquent, cette sécheresse de ton… me font penser ? » on peut répondre pêle-mêle et sans être exhaustif : The Velvet Underground, Luna, Nick Drake, Sparklehorse, Sufjan Stevens.
Le nom du groupe par exemple, Noah and The Whale, est la contraction du titre d’un très beau film, « The Squid and The Whale » (en français « Les Berkman se séparent ») et du prénom de son metteur en scène Noah Baumbach, aussi scénariste de Wes Anderson. Ce goût pour un univers cinématographique introspectif qui, étrangement, ne sombre pas dans un psychologisme rance mais s’accomplit dans les digressions narratives, les marges et les inventions visuelles, se retrouve dans les compositions de l’album : loquaces, éloquentes, virtuoses comme autant de manières de ne pas geindre mais au contraire de s’étourdir et de s’oublier dans les fugues et les envolées instrumentales, dans l’alternance entre l’acoustique et l’électrique, dans les attaques pénétrantes des violons et le minimalisme du piano.
La grâce mélodique du premier titre, The First Days of Spring, faite de stases vibrantes, de circularité des motifs, d’une science consommée du crescendo dramatique et d’un inexorable abandon de la voix renvoyée à sa solitude, enveloppera ainsi l’ensemble de l’album. Et si chaque moment semble être inspiré par le seul dépit amoureux c’est avant tout le sens des ambiances et le contraste entre la simplicité descriptive des paroles, la diversité et la sophistication de l’instrumentation qui confère son identité à l’oeuvre. “I Have Nothing”, “Our Window”, ou “Stranger”, stupéfient par la dimension figurative qui semble constitutive de cette musique. Il y a en somme chez Noah and the Whale un véritable art du portrait, par petites touches, petites pointes d’arpéges — “Slow Glass” –, chant léger prenant le ton d’une confidence — “My Door is Always Open” — qui entraîne notre participation enchantée à ces émois et à ces espoirs. Certes, dans sa volonté de ne pas sombrer dans un naturalisme pauvre le disque s’avère parfois un peu artificiel, manquant de corps et de dissonances, laissant ainsi transparaître excessivement ses nombreux emprunts. Néanmoins, au sein de ce patchwork mélodique s’affirme une identité musicale prometteuse, entre folk, pop et post-rock, et une tension propre à constituer un univers sonore cohérent et attachant.
La musique de Noah and the Whale est ainsi peuplée d’images et d’harmonies que des affinités électives relient toutes ensemble afin de constituer un monde serein où l’on rencontre des musiciens et des cinéastes, l’amour et la tristesse. Gageons en ce sens que, au-delà de la peine et de la solitude exprimées, ils se sont inventés déjà plein d’amitiés et de proximités comme autant d’îles à parcourir, autant de point de repère et de fuites, qui sont aussi les échos d’une sensibilité fébrile. The First Days of Spring n’est pas alors tant un album de saison, anachronique, qu’une riche cartographie sentimentale.
– Le site officiel