Les papes de l’indie rock proposent un concentré de leur univers éclectique et aventurier. La machine est parfaitement huilée, les rouages s’imbriquent sans grincer. Et nous de réprimer, parfois, un bâillement poli mais inconvenant. On s’en excuserait presque…


2009 est l’année des leçons des anciens. Après les Sonic Youth et leur The Eternal irréprochable de bout en bout, puis ces vieux briscards de Dinosaur Jr en plein trip Farmier à coller des complexes à Black Francis, au tour de l’insaisissable trio de Hoboken, New Jersey, d’offrir son nouveau bébé. Un opus attendu avec autant d’impatience puisqu’il fait suite à un récent retour aux affaires de l’ordre du fracassant. On ne se remet en effet toujours pas de l’énorme I Am Not Afraid of You and I Will Beat Your Ass (2006), qui faisait pourtant suite à un opulent Best-Of. C’est simple, 20 ans après leurs débuts, Ira Kapan, Georgia Hubley et James McNew offraient rien de moins que leur meilleur album. Un disque flamboyant, régulièrement traversé par le génie, et qui butinait tous les genres préalablement visités par le groupe, mais jamais avec autant de légèreté et de maîtrise en même temps. Inutile de préciser que nous espérions ce Popular Songs comme un frère jumeau de ce coup de force. Malheureusement, la veine semble s’être un peu épuisée en route.
Ne nous y trompons pas, ce douzième album est une réussite sur le plan de l’écriture. Toujours aussi gourmand, fureteur et rigoureux, le groupe se lance avec toujours autant d’avidité qu’auparavant dans le folk, le rock, la soul, et même l’expérimentation noisy. Sauf que cette fois-ci, les références ne sont plus les mêmes. Après avoir eux-mêmes relevé leur jeu à un niveau exceptionnel, les trois comparses ont fait naître chez leurs fans une exigence de premier degré. Habitués à des aventures sonores imprévisibles et une écriture unique, ils peuvent se sentir frustrés à l’écoute de ce nouvel effort. Yo La Tengo ronronne, et ça, c’est à la limite de l’incorrection pour un combo d’une telle classe.

Long de 72 minutes, le disque se divise en deux parties distinctes. Les neuf premiers titres constituent le gros d’un album on ne peut plus traditionnel, la partie la plus intéressante, quand les trois dernières plages sont respectivement longues de plus de 9, 11 et 15 minutes — soit un total de 35 minutes de musique au final assez ennuyeuses. Si l’effet de répétition joue à plein, quelque soit le style abordé, Yo La Tengo est bien loin de la décharge permanente provoquée par “Pass The Hatchet”, longue et tendue introduction du précédent album. A l’extrême, “The Fireside”, qui se voudrait un essai atmosphérique, finit par porter ombrage au disque avec cet incessant accord gratté et ce rythme de noce macabre.
Avant d’en arriver là, Popular Songs déroule sa ribambelle accidentée de compositions aussi colorées que complémentaires. Entre l’électricité, contenue sur “Here to Fall” ou délivrée à flot sur “Nothing to Hide”, l’inquiétante langueur de “By Two’s”, l’orgue mutin de “Periodically Double or Triple” ou les accords scintillants de “When It’s Dark”, on sent tout le poids de la complicité, la grâce de l’expérience d’un groupe qui n’a plus rien à prouver et qui ne cherche rien d’autre que le plaisir du jeu. Alors, même si on se sent de trop quand ça s’étire sur la longueur, on se fond complètement dans le caramel de la parodie parfaite de Belle & Sebastian “If it’s True”, et l’on se love dans le chant cotonneux de “All Your Secrets”, assuré par Monsieur. S’arrêter sur la plage 9 serait l’assurance de jouir pleinement d’un disque riche et ouvert à tous les vents, pas exceptionnel, mais suffisamment robuste, maîtrisé et lêché pour y revenir de manière régulière, comme c’est le cas pour tout album de Yo La Tengo qui se respecte.

Finalement, si la popularité ne sera pas totale avec ce disque mi-figue mi-raisin, on sent le vieux trio en pleine possession de ses moyens, tranquille et complètement serein. Dommage de rester sur le bord de la route, car avant de finir en queue de poisson, l’ensemble de la balade avait été plutôt agréable.

– Le site officiel

– Yo La Tengo sur le site de Matador

– En écoute “When it’s Dark” :