On connaît depuis longtemps l’attachement tout particulier que porte Stéphan Oliva aux images, qu’elles soient de nature cinématographique, photographique ou autre. Une passion de longue date qui ne manque pas d’infuser son phrasé très suggestif où peut s’entendre quelque chose de l’ordre du défilé des plans d’un film, une fluidité proprement cinématique dans l’enchaînement des notes et, pour tout dire, une musicalité souveraine, déliée, prompte à projeter des myriades d’images sur la toile imaginaire de l’auditeur. Stéréoscope, du nom de l’instrument optique apparu à l’orée du siècle dernier, abonde dans ce sens et réunit autour du pianiste la paire rythmique qui l’a vu débuter en septembre 1990 — Claude Tchamitchian à la contrebasse, Jean-Pierre Jullian à la batterie — sous la houlette du fidèle Gérard de Haro, de nouveau aux manettes sur cet album. Dans le livret, on peut lire cette phrase de Baudelaire, « Des milliers d’yeux avides se penchaient sur les trous du stéréoscope comme sur les lucarnes de l’infini », un propos rapporté qui oblitère les sévères réticences que pouvait exprimer le poète-critique d’art à l’encontre de certains dispositifs de reproduction mécanique et optique (sous sa plume, l’appareil photo, notamment, était considéré comme « le refuge de tous les peintres manqués »). Toutefois, sa conception de la modernité (il fut un des premiers à la conceptualiser), qui renvoie à l’éphémère, au transitoire et à la nostalgie, colle parfaitement à la musique du trio : figuration d’une promesse, d’un présent déjà passé, elle est tout entière immanence. Volontiers impressionnistes, les compositions de Stéphan Oliva disent un temps défait, avancent par touches contingentes. Tel, littéralement, un jeu de pistes (les références, et clins d’oeil sont pléthore), Stéréoscope se déploie comme un instantané qui porterait déjà en lui les vestiges du lendemain. « Illusion désillusion », le beau morceau secret (est-ce une allusion au label de Philippe Ghielmetti ?) avec lequel Oliva clôt l’album en solo, semble ainsi dire, non sans mélancolie, cette fuite du temps où tout se joue et tout se perd à la fois.

– Le site de La Buissonne

– En écoute : « Sylvie et les Américains »