Loin de son confort habituel, la bande à Colin Meloy signe un opéra rock. Déroutant.


En musique comme en toutes choses, le refus de l’immobilisme est toujours une vertu rassurante. S’extirper de sa case avant la sclérose est un geste que certains n’ont su accomplir à temps. Ainsi, en cette année 2009, les Decemberists ont décidé de sortir des sentiers qu’ils avaient eux-mêmes battus. Porté par la voix hors des ages de Colin Meloy, le groupe de Portland prenait l’habitude, en bon samaritain, de nous entraîner dans son univers baroque. Violon, mandoline, accordéon, guitare sèche… et des mélodies tantôt enchanteresses, tantôt cafardeuses, pour un résultat qui confinait parfois au sublime (Picaresque).

The Hazards Of Love n’est pas fait de ce bois. Le folk doucereux des premiers albums s’est mué en un opéra rock où les riffs et le picking ont voix au chapitre. Il est sûr que ce cinquième album peut apparaître complètement déroutant pour les abonnés de la bande des six. Aucun adorateur n’était venu, à l’origine, pour se faire décoller les oreilles à coups de riffs rageurs. Évident. Cette nouvelle révolution des décabristes (le groupe tient son nom des opposants au tsar Nicolas I) était au départ conçue tel « a musical », comme l’a avoué Meloy. Mais chemin faisant, il prit conscience que cela ne pouvait marcher ainsi et emprunta donc une voie différente, celui du disque de rock. Après tout, pourquoi pas : Colin Meloy est un orfèvre quand il s’agit de conter (“A Mariner’s Revenge Song”, “Eli, The Barrowboy”) et le groupe de Portland a conservé la cohérence d’un récit. Anachronisme presque téméraire (mais à saluer) dans un monde de plus en plus séquencé où le zapping est devenu la norme.

Ceci posé, passons à l’histoire en elle-même. Une ville, une forêt, un amour sincère entre Margaret (Becky Stark de Lavender Diamond) et William (Colin Meloy) et enfin une reine maléfique (Shara Worden de My Brightest Diamond) qui fera tout pour s’y opposer. Simpliste, presque enfantin mais collant parfaitement à l’univers étiqueté « Decemberists ». Les nouveautés sont clairement mélodiques. L’ouverture (“Prelude”) et “The Hazards Of Love 1” sont du sérail (orgue, violons, guitare et tout le toutim) avant la déferlante qui nous prend à rebrousse-poil. A “Bower Scene”, première claque construite sur des guitares électriques omniprésentes et dégoulinantes. Pas franchement convaincant… comme la suite. “Won’t Want For Love” avec Becky Stark pour un blues-rock à deux voix. Puis retour au folk avec “The Hazards Of Love 2 (Wager All)” comme si le groupe ne savait de quel côté faire pencher la balance, comme s’il était toujours rattrapé par son passé. Un coup ballade (“Isn’t It A Lovely Night?”), un coup rock lourd (“The Wanting Comes In Waves/Repaid”)… De ce côté-ci, on oscille entre Black Mountain, White Stripes, les Kills, plus rarement Dead Weather, le tout en moins bien. Même si le refrain “The Rake’s Song” tente de nous emmener, la suite est vraiment insipide et sans ressort. Les Decemberists parviennent tout de même à refermer le chapitre sur une belle ballade folk, “The Hazards Of Love 4 (The Drowned)”. Retour au bercail.

Au final, on a beau regarder ces Américains avec les yeux de l’amour, au nom des magnifiques services rendus, cela n’efface pas certaines lacunes. Déçu, on peut se consoler en écoutant une nouvelle fois le morceau “Sleepless” de la compil’ Dark Was The Night. Un bijou. Cependant, ce refus de l’immobilisme a bien été bénéfique puisque, dans ses bagages, il nous a ramenés quelques certitudes : que l’on préfèrera toujours Meloy à une distance câlin que dans un stade, que l’on adore ses mélodies finement ciselées, ses choeurs à tomber, ses arrangements labyrinthiques au service d’une troupe à l’excentricité parfois désuète mais tellement attachante. Et l’on en vient à se demander si, au fond, ce n’était pas nous, pétris par l’habitude, qui avions refusé le changement. Cruel.

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