Retour à la haute-voltige mélodique pour cette essentielle formation indie rock US, toujours aussi alerte. Point d’ennemis à l’horizon ? Evidemment, Built To Spill demeure loin, loin devant.


On s’attendait un peu moins vite à sceller nos retrouvailles avec la plus honorable filière BTP des États-Unis, leur cadence de chantier s’étant quelque peu ralentie depuis l’an 2000 (cinq ans à ronger son frein avant le formidable You in Reverse paru en 2006). L’évènement fait d’autant plus plaisir à entendre que l’inspiration a conservé l’éclat des premiers jours. Ces considérations temporelles pourraient sembler anecdotiques pour le chaland du vieux continent, mais on parle ici d’une des meilleurs groupes de rock du giron US. Sur le front depuis 1992, la formation menée par le déjà vétéran à l’époque Doug Martsch (ex Treepeople) n’a que peu de déchet dans sa discographie, soit sept albums studio d’une consistance jamais prise en défaut, et illuminés les panthéoniques Keep It Like a Secret (1999), Perfect From Now On (1997) et There’s Nothing Wrong with Love (1994). A peine a-t-on remarqué un passage de siècle mal négocié avec le limite progressif Ancient Melodies of The Future (2001).

Que la bande de Doug Martsch revienne dans une forme resplendissante n’est donc pas une surprise. Il n’empêche, on est littéralement soufflé par le début des hostilités : “Aisle 13”, nous jette directement dans les filets des guitares alambiquées de Doug Martsh, guet-apens électrique dont on ne ressort pas. Et cette superbe entrée en matière annonce aussi la couleur de l’album : après avoir payé son tribu americana avec la distorsion rugueuse de You In Reverse (auquel on peut associer l’album solo du leader, Now You Know, hanté par le bottleneck de Mississippi Fred McDowell), ce septième opus reprend les armes là où BTP les avaient laissés à la fin des années 90, soit avec la verve mélodique et nettement plus arrangée de Keep It Like a Secret.

Un grand retour à ce que le quatuor sait faire de mieux, à savoir échafauder de complexes progressions mélodiques en arabesque, où les six-cordes de Doug Martsh et son arrière Jim Roth (vieux compagnon de tournée intégré définitivement depuis You in Reverse) se font reines. Sur les torsadés “Good Ol’ Boredom”, “Planting Seeds” et “Things Fall Apart” (où une superbe trompette s’immisce) s’érige un conséquent mur du son où harmonies pop léchées, marquées par le chant nasal si particulier de Martsh, donnent le change. Le morceau le plus impressionnant du lot, la belle rouille électrique “Oh Yeah” atteint ainsi son apogée lors d’un solo de Martsh aussi Zumesque que foudroyant. A ces renversements de manche s’adjoint une liste d’invités inhabituelles dont l’incidence sur les parties synthétiques de l’album n’est pas innocente : quelques vieilles connaissance dont l’organiste Sam Coomes (Quasi), le claviériste Roger Manning (Jellyfish), mais aussi l’ex camarade des premières heures Scott Schmaljohn (Treepeople) ainsi qu’un peu de chair fraîche — Paul Leary (Butthole Surfers) et le violoncelliste John McMahon.

Soigneusement élaboré et équilibré, There Is No Enemy signe donc l’armistice entre mélopées électriques contrôlées et rock poignant. Car Built To Spuill oeuvre avant tout dans la mélodie sensible. Si pour ces orfèvres l’accroche mélodique relève d’un travail acharné au scalpel, elle se doit toutefois de rester fluide et d’être captée dès les premiers instants. Une impression de coulé guère aisée à mettre en place, d’autant qu’avec le temps l’écriture à tendance à se compliquer, voire se torturer. Sur ce dernier point, le poignant et grandiose “Hindsight” puis “Done, Life’s a Dream” et “Nowhere Lullaby” enfoncent le clou. En contre-point de ces zones down-tempo, l’énergie punk de “Pat” semble libérée comme pour remettre les pendules à l’heure. Et le tic tac de cette complexe horlogerie est toujours aussi fascinant à entendre.

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– A voir et à écouter « O Yeah » capté chez Letterman :