Dix ans après le très mémorable Mustango, Murat se reprend à rêver son Amérique : après New York et Tucson, il pousse jusqu’à Nashville, sa country-variétoche, ses requins de studio et ses fantômes.


On attendait avec impatience cette nouvelle étape américaine de Jean-Louis Murat qui depuis quelques albums nous semblait un peu enlisé dans sa routine auvergnate. Ajoutées au plaisir un peu puéril qu’il semble aujourd’hui prendre à jouer les anarchistes de droite vaguement dégueulasses et un peu cons, ses productions récentes trop abondantes, diluées et redondantes avaient en effet fini par nous éloigner un peu, comme d’un vieil ami dont on ne doutait certes pas qu’on finirait par le retrouver un jour mais par nous éloigner un peu tout de même. Avec l’annonce d’une nouvelle échappée américaine, on sentait les retrouvailles proches tant est encore vive l’impression que nous a laissée Mustango ; et on sait depuis Dylan que si elle est moins racée et nerveuse que le mustang, la vieille rosse nashvillienne peut mener bien loin celui qui sait lui indiquer la direction des étoiles.

Il fallait donc qu’il s’en aille pour que nous le retrouvions. Pour qu’il se retrouve lui-même aussi sans doute, car ça fonctionne : confronté à des musiciens chevronnés, qui ne le connaissent sans doute ni d’Eve ni d’Adam, loin de ses repères, Murat semble renouer avec l’inspiration et les vertus de l’exigence. Certes, bégueule, on pourrait regretter une production un peu trop lissée, mais JLM n’a jamais vraiment donné dans le lo-fi, et si les requins de studio nashvilliens nagent un peu trop droit, ils ont le mérite de savoir où ils veulent nous emmener et de nous y déposer pile à l’heure. Donc, ne pas attendre de véritables surprises de ce côté-là, juste de la belle ouvrage et quelques moments gracieux tels l’introduction et l’accompagnement insidieusement menaçants de “Ginette Ramade”, la juste parcimonie de “Chanter est ma façon d’errer” (on ne saurait mieux dire) ou encore Cherie Oakley, belle sirène nicotinée nageant langoureusement au milieu des requins et donnant joliment la réplique à JLM (sur le magnifique « Falling in love again » par exemple).

Murat, il faut le dire puisqu’on n’en parle jamais, a également un don pour la mélodie instantanée, toute bête, sans doute troussée en quelques instants mais qui s’installe sans qu’on y prenne garde. Ainsi, il n’est jusqu’au pourtant irritant “Comme un cowboy à l’âme fresh” — oui « fresh » — qu’on se surprenne à fredonner. Comme si l’écriture contenait elle-même sa propre musique. Les textes sont d’ailleurs plutôt inspirés et variés (on note par exemple, et c’est heureux, que le nombre d’occurrences du mot « désir » a sensiblement baissé par rapport aux albums précédents), dosage subtil et toujours un peu codé de préciosité et de trivialité. On y retrouve même parfois l’inguérissable mélancolie des vieux albums (la très belle « Mésange bleue « ). Si bien que l’on tient là probablement le meilleur Murat depuis longtemps, depuis le très pop Bird On A Poire (2004) peut-être et, de Nashville ou d’ailleurs, on aimerait autant qu’il ne rentre pas. GS

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DVD, Falling In Love Again
Réal. : Laetitia Masson; avec la participation d’Elsa Zylberstein

Il fallait pour accompagner ce disque de rupture (de routine, de repères, de solitude) le portrait d’une fan parmi les fans. Laetitia Masson, amie de longue date, a choisi de se poser en observatrice fureteuse et invisible, comme si l’esprit d’une amoureuse du chanteur, coincée à Paris et incapable de vivre son rêve américain (joliment incarnée par Elsa Zylberstein), furetait sur ses traces nashvilliennes. En ressort une succession de séquences d’enregistrement volées, au cours desquelles l’Auvergnat ne parle jamais et joue tout le temps. Ou comment transformer un froid et inutile making of vaguement commercial en portrait subliminal d’un homme dont seules la voix et la musique émergent. Car, finalement, au-delà du personnage principal et de l’homme victime de sa traque, se dessine le portrait d’un artiste dont seul compte l’art. Ce qu’a finalement toujours tenu comme discours Jean-Louis Murat, bien au-delà des traditionnelles fadaises plus ou moins débiles qu’il livre en boîte aux journalistes. CL

– Son site officiel

Lire également :
Charles et Léo/Les Fleurs du Mal (2007)
Tristan (2008)