À pas feutrés, Richard Hawley poursuit son petit bonhomme de chemin, d’album en album tous plus impeccables les uns que les autres. À tel point que l’on ne voit plus grand monde capable de suivre l’impériale cadence de ce solitaire magnifique. Sur Truelove’s Gutter, à contre-courant des modes et du vacarme triomphant, ses chansons prennent le temps d’exister, de s’incarner dans la nuit, irradient une douceur erratique et ambivalente, jamais vraiment reposées, toujours un peu sur le fil qu’elles sont. L’ancien guitariste de Pulp cultive un art de la résistance bien à lui, celui qui consiste précisément à prendre son temps. C’est-à-dire écouter son propre rythme intérieur, peser chaque mot chanté, trouver la musicalité adéquate, laisser venir. Autant dire que le crooner de Sheffield y parvient encore une fois à merveille sur Truelove’s Gutter, un disque aux contours ombrés où la musique des maux le dispute à la suggestion et la sensation. Le premier morceau est ainsi introduit, durant plusieurs minutes, par les notes d’un orgue lancinant, une entrée en matière qui pose moins une tonalité d’ensemble qu’elle ne figure d’emblée un ralentissement, une suspension du cours des choses qui est aussi une invitation à pousser la porte (“Open Up Your Door”). L’esthétique de la ballade prédomine tout au long du disque (seule “Soldier On” subit au mitan de son développement de cordes la loi d’une guitare électrique triomphante), sans toutefois laisser poindre un sentiment de lassitude. Chacune des huit chansons de Truelove’s Gutter joue de la surface et de la profondeur : étales ou légèrement ondulées en apparence, elles dissimulent en réalité moult remous et recoins, des ténèbres d’où s’extrait la lumière d’un désir salutaire, des angles morts qu’une oreille lancée à pleine vitesse ne saura bien sûr considérer. À cela, ajoutons une science des alliages chromatiques entre différentes générations d’instruments qui atteint sur cet album une incontestable plénitude. Il en va d’un dialogue par-delà les notions obsolètes d’archaïsme ou de modernité, de vintage ou de contemporain, en bref d’une certaine et haute idée de la conjonction, de la rencontre des temps. Et, aussi, d’une mélancolie des cendres (“Ashes on the Fire”) sur lesquelles l’homme et le chanteur soufflent de concert, comme pour ne pas en finir et demeurer toujours.

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– À voir et écouter : « Open Up Your Door »