Bien qu’en terrain afro-rock connu, ce fougueux quintet californien se sent comme à la maison lorsqu’il s’agit de poser des choeurs célestes sur des mélodies hirsutes. Encore !


Le grand danger auquel s’expose tout groupe de rock fraichement débarqué et pétri d’influences manifestes — en l’occurrence les premiers de la classe Arcade Fire, Grizzly Bear, Fleet Foxes — est celui d’être accusé de prendre le train en marche. Mais, en musique — et seule compte finalement la musique –, il arrive que certains retardataires parviennent à capter parfaitement l’air du temps, voire à prendre l’aspiration pour dépasser la tête du peloton. Peut-être ne gagneront-ils pas la course mais, ne serait-ce même que pour quelques tours glorieux, l’exploit demeure louable. Tel est le cas des novices californiens Local Natives.

Dans la lignée touchante de tous ces premiers disques qui ont les qualités de leurs défauts, Gorilla Manor, premier essai du groupe, n’échappe pas à quelques petits trous d’air, voire à un air de déjà entendu. Ce qui n’empêche pas le quintet, à plusieurs occasions, de faire montre d’un talent aiguisé pour façonner des pop songs aussi mélodieuses qu’alambiquées. Il serait donc bien hâtif de reléguer ce groupe dans une sous-catégorie. Plus Robin des bois dans l’âme qu’escrocs, le quintet de la ville de Silver Lake emprunte beaucoup à l’emphase du rock canadien et à l’afro-pop new-yorkaise pour manigancer sa mixture. Mais, par-dessus tout, c’est dans la tanière folk de certains renards de Seattle qu’il commet son plus beau hold-up, comme le démontrent ces choeurs harmonisés à trois voix, d’une beauté proprement immaculée, pris de plein fouet dès “Wide Eyes”.

Mais justement, en quoi Local Natives se distingue t-il par exemple de la chasteté baroque des Fleet Foxes ? Peut-être à travers cette propension inhabituelle de la batterie à jouer les agitatrices de première classe. « Libérer l’énergie », voilà ce à quoi s’attèle le duo Taylor Rice (guitare/voix) et Kelcey Ayer (chant/batterie/claviers) tout au long de leur douzaine de chansons fauves. C’est cette impulsion extatique qui sous-tend “Sun Hands”, ce morceau où une section rythmique, plus percussive que rock, infecte l’attaque d’un riff électrique devenu épileptique. Cordes enlevées, piano, synthétiseur et cuivres suintant participent ailleurs à une cérémonie bariolée, comme sur l’exalté “World News”, qui débouche sur une explosion/progression cherchant tout sauf le confort des mesures en 4/4. Quant à l’introduction solennelle au piano de “Shape Shifter”, elle n’annonce pas la ferveur qui s’élève ensuite à grand renfort de choeurs vertigineux. En revanche, “Warning Signs”, reprise des Talking Heads — parrains évidents de la scène new-yorkaise –, se révèle décevante, tant on pouvait être en droit d’en attendre mieux. Un peu inutile, à vrai dire. Sur la fin, d’ailleurs, la tension redescend progressivement — la ballade un brin sauvage et soul « Cubism ».

Si l’on sait passer outre les reproches d’accointances musicales susmentionnés, le seul véritable défaut que l’on pourra émettre vis-à-vis de Gorilla Manor serait d'(ab)user de reliefs sonores systématiques à chaque composition (cordes « arcadiennes », percussions, choeurs omniprésents). D’où une impression — illégitime — d’uniformisation de chaque chanson, qui ne rend pas tout de suite justice au foisonnement d’idées déployées durant ces cinquante-deux minutes. De ce fait, Gorilla Manor est de ces baptêmes du feu un peu lents à maturer dans nos oreilles, avant que ne s’échappent ses vapeurs aphrodisiaques.

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– A voir et écouter : « Sun Hands »