Du rock fondamentalement racé, des guitares abrasives, un chanteur à la voix de flemmard flamboyant et des hymnes garage à la pelle. What Else ?


Pour la petite histoire, ce palpitant quatuor garage de San Diego (Californie) a déjà connu une première vie. Ou plutôt un patronyme différent, initialement The Muslims. Avec un tel nom, lourd de sens religieux, inutile d’expliquer pourquoi peu de temps après leur premier album, le groupe s’est sagement rebaptisé The Soft Pack. Fort heureusement, cette nouvelle identité, nettement plus « soft », n’a pas eu d’incidence sur la teneur urgente de leur obsession musicale. Car voyez-vous, si Matt Lamkin (chant, guitare, au faciès très proche de Robert Pollard), Matty McLoughlin (guitare), David Lantzman (basse) et Brian Hill (batterie) pèchent, ce serait volontiers par excès d’intégrisme à la cause garage.

Pour le visuel, par contre, on repassera. Difficile d’imaginer que sous ce ciel bleu innocent transpire un esprit de décadence rock. Les ex-Muslims ont plutôt le profil d’anti-rock stars — ou de nerds, c’est selon –, à faire passer les Hot Chip pour Mötley Crüe. Franchement, quel acte rebelle peut-il bien justifier de s’afficher avec un épais pull de grand-père autour du cou, planté au beau milieu d’une plage ensoleillée californienne ? On n’avait plus croisé tels spécimens bleus depuis le premier opus des Feelies, voire Weezer. Mais il faut savoir se méfier. L’histoire nous a déjà prouvé que sous cette épaisse laine tricotée, et ce corps rigide et boutonneux, germent parfois d’insolents songwriters, débordant d’une frustration nubile qui n’a que trop duré.

Il est entendu que The Soft Pack ne sont pas là pour bousculer l’ordre musical établi. Peu concernés par les dérives ou modes musicales du moment, leur disque aurait pu sortir en 1978, en 2001 ou en 1969, le monde n’y aurait vu que du feu. Au fond, il est toujours question ici de ces sempiternels trois accords rock mineurs. Ils ont ce p’tit grain vintage, mais pas seulement. Ces fameux trois accords plaqués ne s’apprennent pas dans les écoles de musique. Cette désinvolture, ce panache, cette arrogante coolitude s’apprend uniquement en écoutant religieusement les vinyles craquelés des anciens : les compiles Nuggets, la power pop de The Nerves, les mélodies inachevées des premiers Feelies, et bien sûr la simplicité naïve des Modern Lovers… les mêmes disques qui seront plus tard recyclés sur le premier Strokes et The Obits.

Le son rêche a pris un peu d’ampleur depuis l’ère The Muslims. Ou peut-être est-ce le local garage devenu plus spacieux ? Toujours est-il que les nouvelles bombinettes larguées ici ont encore gagné en efficacité. Ce qui sort des amplis crasseux de The Soft Pack, c’est le son sidérant des guitares débraillées, des guitares au tempérament impossible, jetées pêle-mêle et exaltées, voire brouillonnes. Une déglingue élégante, propulsé à la puissance d’un boulet de canon par un batteur chauve, dont le moindre des atouts est de parvenir à visser inexplicablement ce bordel. Surfant sur la crête de cette vague de distorsion fuzz, la gouaille de Matt Lamkin incarne la «lazy» attitude dans toute sa splendeur : le cabotin fait mine de jouer les équilibristes en mauvaise posture sur “Parasites” (seul titre échappé des Muslims) ou de crier au garde à vous sur “Pull Out”. A vrai dire, aucun déchet n’a été détecté parmi les dix missives rock servies sur ce disque enivrant, gorgé de mélodies additives.

Par essence même, cette jeunesse-là n’a qu’un temps. On comprend pourquoi The Soft Pack préfère brûler la mèche par les deux bouts plutôt que de se consumer à petit feu. Si nul ne sait ce qu’il adviendra demain pour eux (bien que le buzz rôde), pour l’heure, il est vivement conseillé aux aficionados de porter également une écoute à l’album des Muslims et du non moins indispensable Extinction EP paru l’été dernier. Et puis avec un telle face B, « My Flash On You », ces filous sont certifiés d’avoir trouvé le meilleur titre rock’n’roll depuis « New York City Cops ».

(En concert le 4 mars au Nouveau Casino, Paris)

– Site officiel

– A voir « C’mon » :

THE SOFT PACK « C’mon » MUSIC VIDEO from VIDEOTHING.COM on Vimeo.