Écouter, aujourd’hui, un nouvel album du saxophoniste Giuseppi Logan s’avère être un privilège dont il faut mesurer toute l’importance. Donné pour mort, ou presque, le musicien âgé de 74 ans n’avait, en effet, pas sorti de disque depuis 45 ans, période au cours de laquelle, démuni, il a plus souvent goûté l’aridité du bitume et la solitude des bancs publics que l’ombre libertaire des partitions de jazz. Artificier incontournable du free jazz (il participa à la « révolution d’octobre » de 1964 initiée par Bill Dixon) et musicien affilié à ESP (il signa avec son quartet un des premiers disques du label), partenaire frénétique de Patty Waters ou Roswell Rudd, Giuseppi Logan aura marqué la seconde moitié des années 60, avant de disparaître dans les tréfonds de Manhattan, du jour au lendemain. On louera donc, comme il se doit, l’initiative du producteur Josh Rosenthal (déjà à l’origine de la récente résurrection du guitariste Peter Walker) de l’avoir retrouvé et convaincu d’enregistrer cet album — en septembre 2009 — avec deux membres de son quartet originel, le pianiste Dave Burrell et le batteur Warren Smith. Le contrebassiste François Grillot et le trompettiste/clarinettiste Matt Lavelle ont également été convoqués afin de compléter ce quintet de haute volée qui joue là cinq nouvelles compositions du saxophoniste et trois standards (dont “Blue Moon” sur lequel le musicien intervient au piano). Dès les premières mesures et salves atonales de “Steppin’”, force est de constater que la fougue et la raucité caractéristiques de Logan à l’alto ont traversé le temps sans se lester du poids des années. Plutôt que de reprendre stricto sensu les choses là où il les avait laissées, Giuseppi Logan enracine sa musique dans un passé et une esthétique identifiables, puis arpente un territoire électif des passages (de la chanson, du hard bop, du free, du blues), sinon des seuils (rythmiques, mélodiques). Déconcertantes, ses relectures curieuses et bancales de “Over the Rainbow” ou “Freddie Freeloader” relèvent d’un sortilège déceptif, comme si la mémoire lacunaire du musicien était proprement en jeu, l’oubli un enjeu. Un grand art de la déformation, voire du grossissement, où la subjectivité dévoyée et retrouvée passe à l’avant-plan. Une musique de revenant qui appelle d’autres apparitions, notamment sur scène.

– Le site de Tompkins Square

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