Le dernier album d’Eleh est comme un sismogramme, une inscription de déplacements, mémoire non vécue d’une vie intérieure et impénétrable.


« Notre héritage n’est précédé d’aucun testament. » René Char

A la première écoute, le travail amorcé dans Location Momentum se veut une démonstration physique, une investigation presque chirurgicale de l’expérience sonore. La musique, se réduisant à une résonance minimale, cherche à révéler une architecture archaïque, qui évite consciencieusement les changements brusques et inattendus. Ici, tout se déroule a priori selon une voie linéaire, d’après un programme établi à l’avance. L’intensité qui s’y maintient, avec cette stabilité manifeste et épaisse, rend caduc tout espoir d’y découvrir un point d’origine. On peut se représenter le lieu sonore comme un espace vectoriel, qui permet de visualiser et de rendre intelligible des directions et des vitesses en action, une force déjà à l’oeuvre en somme. Quant aux différents « pans » qui composent l’album, leurs titres renvoient aussi bien à des manoeuvres, des gestes mécaniques et précis, des ajustements qui dénoteraient une sorte d’organisation autonome et libre de formes rudimentaires, qu’à l’éphémère, l’altération, une disposition de fragments transitoires.

Dépourvue de vie à la première approche, l’immobilité apparente et sans variation révèle, en effet, des interventions subtiles et profondes qui s’ajoutent à la nappe sonore lourde ; les mouvements cycliques, comme de légers battements, insoupçonnés au départ, exposent un souffle profond et opaque qui habite l’album, dont l’action est nourrie des mondes qu’elle avale à son passage. Devant ce décor froid qui s’étend à mesure qu’on avance, l’angoisse tient plutôt de la proximité intenable de l’abîme qui observe, appelant sereinement sa proie.

Ce que l’on découvre à travers l’expérience Location Momentum, en dehors de la force immanente et de la densité glaciale que l’album dispose, est un monde qui échappe inévitablement à son auditeur, l’entraînant dans son mouvement lent et sûr. Il s’agit d’une posture intelligente et féconde qui se déploie à travers la concentration et la tension, une véritable dynamique à l’oeuvre. Ainsi, le mystère identitaire d’Eleh est aussi celui de la création, de la génération des figures dépouillées qui se manifestent à la manière des branches endormies d’un arbre phylogénétique déraciné, brisant pour toujours l’illusion du retour des temps meilleurs.

– Le site d’Eleh sur le label Important Records

– En écoute : “Observation Wheel”