C’est l’histoire d’une revanche, un retour de projecteur amplement mérité. Après des années passées dans une quasi indifférence, The Radio Department., trio suédois mené par Johan Duncanson (chant, claviers) et ses acolytes Martin Larsson (guitare, claviers) et Daniel Tjader (claviers), est fin prêt à décrocher la timbale.


Du plus amateur blog de musique référencé sur la Toile en passant par The Independent et ma tante Gertrude, tout le monde s’accorde à dire que Clinging To a Scheme, leur troisième album, est la nouvelle acmé en matière de dream pop sous interférences electro. Casquette bien vissée sur sa tête (il n’en démordra pas durant la séance photo), le très affable Johan Duncanson est en semi-vacances dans la capitale. Accaparé par la promotion de son nouvel album, il cède quand même aux petits plaisirs de la France, et se confie autour d’un verre de vin rouge.

Pinkushion : Récemment, un article d’un quotidien britannique annonçait que The Radio Dept. était, après Yeasayer, le groupe le plus téléchargé sur la blogosphère. Surprenant n’est-ce pas ?

Johan Duncansson : Oui, j’ai entendu parler de ça. C’est énorme d’être l’un des artistes les plus « bloggués » au monde. Tout particulièrement lorsque notre précédent album n’a pas suscité beaucoup d’attention. C’est une agréable surprise.

Il est devenu courant que les artistes indépendants proposent un morceau en téléchargement gratuit, ce avant la parution de l’album. Vous avez usé de cette même stratégie, qui s’est avérée payante. Pensez-vous que c’est une bonne solution dans un contexte économique morose lié au téléchargement ?

Honnêtement, je ne sais pas. Beaucoup de personnes téléchargent de la musique, donc autant leur donner quelque chose qu’ils puissent télécharger légalement. Nous ne sommes pas contre le téléchargement, je le fais moi-même à la maison ; je télécharge de la musique, des films. Mais, en même temps, les gens qui vivent de la culture devraient être payés pour leur travail. C’est compliqué, mais je ne veux pas incriminer les gens ou les envoyer en prison pour cela. Je suis juste heureux que les gens écoutent ma musique…

Offrir une chanson est quelque-part une excellente manière pour inciter la curiosité des gens.

Tout à fait. Je pense que c’est une bonne chose. Et peut-être même que l’attention portée sur le groupe peut aider davantage au succès de l’album. Les temps ont changé, ce n’est plus du tout le même environnement que lorsque nous avons commencé. Tout a évolué en l’espace de deux ans. Les gens achètent de moins en moins d’albums. Personne ne sait ce que le futur nous réserve. Mais, rétrospectivement, je pense que ce fut un bon choix que de sortir gratuitement « Heaven’s On Fire ». Bien sûr, nous sortons toujours des singles au format physique, avec des morceaux en plus. Les gens peuvent l’acheter s’ils le souhaitent.

« We should destroy the bogus capitalist process that is destroying youth culture. »

Justement, le single “Heaven’s On Fire” est introduit par un enregistrement dans lequel il est question de bazarder les maisons de disques, à la base du système capitaliste pourri qui exploite la culture des jeunes. Ce discours fait étrangement écho à ce que nous évoquions. De qui est tiré cet enregistrement ?

C’est exactement cela. La voix est celle de Thurston Moore de Sonic Youth. Il parle dans un film qui s’appelle 1991 : The year Punk Broke (réalisé par Dave Markey). Le film remonte à 1991, mais le discours pourrait parfaitement s’appliquer au contexte d’aujourd’hui (extrait vidéo ici). C’est toujours d’actualité. J’admire Sonic Youth, nous les considérons comme des modèles. Nous essayons de prendre des décisions en tant que groupe. Nous faisons tout par nous-mêmes, que ce soit la pochette de l’album ou le design des tee-shirts… C’est très important pour nous de pouvoir contrôler au maximum tous les aspects créatifs de notre musique. Nous ne voulons pas faire les choix les plus commerciaux pour être connus, nous voulons juste faire de la bonne musique. Mais il est difficile de gérer toutes ces choses, alors que le groupe lui-même évolue et commence à devenir un peu plus connu. Nous tenons à produire nous-même l’album, l’arranger, le mixer… C’est donc important de conserver un niveau d’indépendance, une dimension humaine, simple. Nous passons déjà beaucoup de temps à faire des compromis. Travailler avec un producteur sur le prochain album aurait été la cause de débats interminables, car nous argumentons déjà tellement entre nous. Nous avons toujours fait ça : discuter entre nous sur le moindre détail. La musique est trop importante à nos yeux pour la déléguer.
Mais, pour en revenir à cet enregistrement, il nous arrive parfois d’évoquer des sujets politiques dans nos paroles. Nous avons sorti il y a deux ans un single, “Freddie and the Trojan Horse”, qui appelait à renverser le gouvernement suédois. Hélas, nous n’avons pas réussi. (rires)

La pochette de l’album est elle aussi très forte, avec ce soldat fumant un joint…

Oui, j’étais en train de regarder un documentaire sur la marijuana, intitulé Grass. Il y avait une séquence sur la guerre du Vietnam, où de jeunes soldats américains fumaient pour oublier la guerre. Ils fumaient à travers le canon d’un fusil. J’ai juste pris une photo de la télévision à l’aide de mon téléphone portable, puis je l’ai un peu retravaillée sur l’ordinateur (rires).

Avec le titre Clinging to a scheme, l’image peut être interprétée à travers deux lectures différentes.

Dans le dictionnaire, le mot « Scheme » signifie « programme ». Mais ce n’est pas l’interprétation que nous voulions en donner, car elle pourrait aussi dire « préparer un plan diabolique mystérieux », comme par exemple un coup d’État. Nous voulions que les gens se demandent où nous voulions en venir…

Johan Duncanson, Radio Dept., avril 2010

Votre premier album n’est sorti qu’en 2002, or le groupe a été fondé en 1995. Pourquoi avoir attendu autant de temps pour cette sortie ?

C’est ce que la biographie du label raconte, mais ce n’est pas tout à fait la vérité. J’ai commencé à jouer avec Martin Larrsson, notre guitariste, en 1998, et à travailler sérieusement en 2001. Puis, nous avons décidé de sortir des singles par nos propres moyens. À l’origine, le nom du groupe était celui d’une formation que j’avais montée à l’âge de 15 ans, en 1995. Ce n’est donc pas le même groupe. L’actuel The Radio Dept. n’a véritablement démarré qu’en 2001, et le premier single est sorti en 2002.

Même si le groupe a démarré en 2001, vous avez, à ce jour, enregistré trois albums, ce qui est assez peu.

Nous sommes paresseux… enfin non, pas paresseux. Nous ne voulons pas sortir n’importe quoi. On veut vraiment être fiers de nos chansons avant de les sortir. Nous avons enregistré beaucoup de EP et de singles inédits entre chaque album. Mais je veux être davantage productif, car cet album a pris trop de temps. C’est vraiment un problème. Notre principal défaut est que nous nous ennuyons trop vite. On enregistre une chanson, mais dès qu’on tourne trop autour, on a tendance à vouloir enregistrer une autre composition. L’année dernière, à l’automne, nous avions accumulé plus de 120 chansons, toutes inachevées, car on continuait sans cesse d’enregistrer. Nous avons alors décidé qu’on ne pouvait pas continuer ainsi, qu’il fallait en finir. Nous avons donc choisi dix ou douze de nos morceaux préférés et les avons terminés. Tout est soudain allé très vite ; l’album était prêt aux alentours de Noël. Je suis tellement content de cet album, et de pouvoir avancer maintenant.

Le bon côté, c’est que vous avez une centaine de morceaux en stock qui attendent d’être terminés.

Exactement (rires). Certains morceaux sont presque terminés, d’autres sont plutôt des bribes mélodiques, un échantillon de batterie ou des parties de claviers… Presque chacune des chansons a besoin de paroles. Mais c’est devenu de plus en plus dur pour moi d’écrire, car je veux que mes textes soient très bons. Et si je ne suis pas satisfait, je ne veux pas les chanter. Donc, si on veut terminer ses chansons, il faut d’abord que j’écrive des paroles. Parfois, je fais des démos avec juste un clavier et une voix. Je les présente à Martin qui me dit s’il apprécie ou non le morceau. Et puis, parfois, nous composons ensemble d’emblée.

A l’époque du premier album, on a beaucoup parlé à l’époque de My Bloody Valentine, et des guitares shoegazing pour qualifier votre son. Clinging To a Scheme semble plus pop que son prédécesseur.

Nous avons toujours revendiqué être un pop band plutôt qu’un groupe de rock. Je n’aime pas le rock, personnellement. Le premier album contenait beaucoup de sonorités distordues, le second était plus poli et ne ressemblait pas à du « home-recording ». Je pense que cette fois nous sommes entre les deux. Les chansons deviennent plus claires mais elles sonnent plus « indie » à nouveau.

Il y a des tempos plus dansants, comme « The Video Department », qui, d’ailleurs, a un petit côté New Order.

C’est vrai. J’aime New Order, et j’aime bien aussi la dance musique. Avez-vous déjà écouté notre EP intitulé “This Past Week” sorti en 2005 ? Les chansons sonnent un peu « slow disco », plus dansantes.

Votre premier album était sorti sur XL Recordings (le label des White Stripes, Beck, Radiohead, Sigur Ros…) mais plus d’un an après sa sortie originale en Suède. Pourquoi ?

Je ne pense pas que cela ait été aussi long. Peut-être que l’album était sorti en Suisse. Nous étions vraiment fiers d’avoir signé sur XL. On se sentait plus proches de leurs idées sur la pop musique que de celles de Labrador.

Pourquoi dès lors avez-vous changé de label pour Labrador (Mary Onettes, The Legends…) ?

En fait, nous avions d’abord signé chez Labrador, puis la licence est allée chez XL. Ils nous ont contactés car ils voulaient sortir l’album. Nous étions jeunes, on aurait signé n’importe quoi pour eux. Mais à l’époque on ne s’est pas intéressé à la musique que sortait Labrador. Si nous l’avions fait, je ne pense pas que nous aurions signé. Ce sont des gens biens, mais ce n’est pas vraiment le genre de pop musique que j’écoute. Je me sens plus proche de labels suédois comme Service Records, où l’on peut trouver des artistes comme Jens Lekman et The Embassy. C’est le label avec qui nous aurions dû signer. The Embassy est mon groupe suédois préféré de tous les temps. On se sent très proches d’eux, presque comme des frères. A tel point qu’on partage des idées sur la musique. Ils viennent de monter un label qui s’appelle Look. Lorsque notre contrat sera arrivé à terme avec Labrador — il nous reste encore un album — je pense que nous allons signer avec nos amis.

Donc vous préférez signer avec une plus petite structure plutôt que sur un nouveau label doté de davantage de moyens.

Je ne verrai aucun inconvénient à signer sur une major du moment qu’elle n’interfère pas avec notre façon de faire de la musique. Mais bien sûr, je préfère être sur un vrai label indépendant, dont les décisions sont moins dictées par le profit. Peut-être devrions-nous monter notre propre label.

J’imagine que si vous ne sortez pas d’albums ou d’EP chaque année, ce doit être difficile financièrement. Est-ce que votre musique vous permet de vivre décemment ?

Nous avons fait pas mal de jobs en parallèle. Mais cela fait deux ans que je ne travaille plus. Avant cela, je travaillais dans une école publique, j’étais assistant d’un petit garçon qui avait une ADHD, un trouble déficitaire de l’attention qui se traduit par de l’hyperactivité. Très gentil, il fallait souvent le surveiller lorsqu’il jouait au football, ou sauter sur lui pour éviter qu’il donne des coups de pied. J’ai fait cela durant un an. Mais j’aimerais être capable de vivre entièrement de la musique. Nous sommes toujours fauchés, je suppose que c’est dû au fait que nous soyons tellement lents. Le plan serait de devenir plus productifs à l’avenir. Mais notre but n’est pas non plus d’être célèbres, juste faire de la bonne musique. Ce serait un agréable bonus.

Figurer dans une bande originale de film est un bon moyen de gagner de l’argent. C’est aussi une opportunité de se faire connaître.

Oui, nous avons trois chansons sur la B.O. du film Marie-Antoinette de Sofia Coppola. Ce qui nous a permis de tenir financièrement un bon moment. Bien sûr, Labrador a touché la moitié des droits reversés, les bâtards (rires) ! Nous avions seulement 22 ans lorsque nous avons signé avec Labrador, le contrat était très mauvais. Et nous en souffrons encore aujourd’hui.

Cinq albums favoris, par Johan Duncanson :

Saint EtienneFoxbase Alpha
Beastie BoysPaul’s Boutique
The ByrdsFifth Dimension
The EmbassyFutile Crimes
Everything But The GirlEden

– Lire également notre chronique de Clinging to a Scheme

Remerciements à Benjamin