Et de trois. Jeremy Jay aligne les disques comme d’autres les conquêtes, et toujours sans commettre de faux-pas. Les romantiques de tous bords se voient une fois de plus réjouis par les ritournelles douces-amères du troubadour américain. Le point sur un amour qui commence à compter.


Jeremy Jay est un petit malin. Le voilà qui promettait à longueur d’interviews que son nouvel album Splash serait un subtil mélange de Siouxsie and the Banshees période Kaleidoscope, du Evol de Sonic Youth le tout épicé à la sauce slacker des amis Pavement. Alors, quel ne fut pas l’étonnement lorsque l’on s’aperçut à la première écoute de cet album que, finalement, de ces références savantes, il n’en serait aucunement question ! Volonté de semer le trouble, d’entretenir le mystère ou de se payer la tête de tout le monde ? On nous promettait du grunge qui tâche et des guitares godiches, voilà que l’on se retrouve en fin de compte avec le petit frère de Luke Haines (The Auteurs). Jeremy Jay — probablement le plus anglais des songwriters américains actuels — décroche une nouvelle fois la timbale haut la main et remporte dans sa coupe des soupirs de contentement et les sourires satisfaits de son auditoire. Oui ce nouvel album est réussi. Plus que ça même. Il est beau. Il n’a rien à envier à ses prédécesseurs. Il les surpasse même par moments, avec des titres dans les tons mordorés et une bravoure jamais surjouée.

Jeremy Jay, c’est entendu, sait écrire des chansons séduisantes, mais il détient surtout une arme secrète, fatale : sa voix. Honnêtement, qui — depuis peut-être Morrissey — s’était risqué à chanter ainsi ? Ce n’est pas tant dans sa technicité, que dans son honnêteté et sa maturité, que le rapport pourrait sûrement s’établir. Jeremy Jay, même s’il est plutôt jeune, chante comme s’il avait vécu mille choses. Ne cédant jamais à la facilité des mélodies clinquantes, ces nouveaux titres disciplinés à l’extrême sont autant de points de tension, donnant moins libre cours à l’aléatoire et aux trajectoires obliques, restant pourtant d’une malléabilité incroyable. Jeremy Jay, ou la science des contraires.

Le corps désarticulé d’un adolescent tardif et le timbre assuré de celui qui a déjà élaboré des plans pour l’avenir. Pas de repos salvateur pour cet érudit de la pop haute couture. Le garçon ne se reposera que lorsqu’il sera mort ou qu’il commencera à radoter. Pour le moment l’urgence est de livrer des albums sans méditer. Il ne ménage pas sa peine et, pour ce nouvel effort, « JJ » semble avoir voulu décliner à l’infini les airs fabuleux de “Gallop” et “Winter Wonder” — le versant lunatique et furtif de la pop que l’on trouvait sur son précédent opus. Des titres qui s’agrippent peut-être moins facilement au moment de leur découverte, car ils contiennent assurément moins d’appeaux et d’entourloupes. Mais gare ! Jeremy Jay est un cachotier. Il serait imprudent de considérer ce disque comme une simple collection de chansons au romantisme affecté. La fleur est belle, mais elle possède aussi quelques épines.

Des longs atermoiements de “A Sliver Of A Chance”, à l’urgence racée du dénommé “Splash”, se succèdent pauses fragiles et instants incandescents, qui voient le jeune homme tenter par moments des uppercuts et des crochets du droit, venant inévitablement mourir dans un oreiller de plumes. Mélopées en demi-teinte que ces petites comédies aux allures aristocratiques, emmitouflées au chaud dans leurs gabardines. Jay s’invente un royaume vert-de-gris, pour y promener son spleen et son personnage efflanqué. Des bijoux en plâtre dont recelait Slow Dance ou A Place Where We Could Go, il les cisèle et les magnifie pour en faire des parures élégantes. Ce qui nous fait penser que, décidément non, ce type n’est pas originaire de L.A. On l’aurait plutôt bien imaginé venir d’ailleurs, le style cintré et la mèche de cheveux dandy, d’une ville de brume et de pluie où s’en vont promener les âmes exaltées et les garçons qui sanglotent.

La musique de Jeremy Jay ressemble de plus en plus à celle de… Jeremy Jay. Une signature élancée que l’on commence à reconnaitre à coup sûr. Ces dernières années ont vu émerger une manière d’écrire grave et consciencieuse et, avec elle, un songwriter que l’avenir devra à présent considérer.

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– Lire également notre entretien avec Jeremy Jay.

– À écouter : Just Dial My Number (Double Six Club TV Session)