Le zozo le plus barjot du moment sort enfin du bois, sous vos yeux incrédules, pour venir exécuter son triple loop piqué de grand équilibriste siphonné. Singulier et fantasque, Ariel Pink est assurément un sacré numéro !


On l’attendait de pied ferme celui-là, et non sans un début d’excitation parcourant le ventre. Le nouvel album d’Ariel Pink. L’apôtre underground du huit-pistes (enfin ?) reconnu à sa juste valeur. Première signature sur un label ayant pignon sur rue. En voilà une drôle de signature pour 4AD. Même pas peur, Ariel. C’est que le phénomène n’en était pas à son premier essai. Une flopée d’obscures (mais néanmoins indispensables) productions sous le manteau plus tôt, il avait déjà abattu en amont un sacré travail souterrain ! Des années en apnée lo-fi, à creuser des galeries, à recycler et bricoler comme un gamin fou, chez lui, en secret. Occupé à fabriquer l’album de pop ultime ou peut-être la bombe atomique. Pendant des lustres Ariel « Marcus » Rosenberg a patiemment construit pièces après pièces le personnage d’Ariel Pink.
La légende et les notes en bas de page soulignent que l’énergumène composerait depuis l’âge de 8 ans (il en a aujourd’hui 32). C’est dire s’il y a matière à fantasmer… Curieux, mais on croirait bien volontiers cette histoire sur parole.

Un individu qui donne du grain de folie à moudre pour qui voudrait bien l’écouter. Car il y a à boire et à manger chez lui. Des albums copieux, qui restent sur l’estomac et dans les consciences. Une mixture triple crème à s’en faire éclater la panse et le seuil de tolérance. Capable de convoquer dans une seule et même chanson, la sophistication d’un Roxy Music, les avancées spatiales de Tangerine Dream et l’outrance king size de Meat Loaf.
De réunir sous sa coupe, les délires déglingués de R. Stevie Moore et les niaiseries au glucose de Duran Duran. Au moins, cela a l’avantage de ne rendre personne tiède. Mais ça en laisse aussi beaucoup sur le carreau, car la musique d’Ariel Pink est souvent sans concession. C’est ainsi, on l’aime ou on la quitte.
L’animal est un voleur, qui s’invite au grand festin pop, chipe et dévore tout ce qui lui tombe sous la main.
Voyez un peu le grand écart que le bonhomme exécute. De véritables numéros d’acrobate, haut perché sur un fil, sans jamais se vautrer.
Ariel Pink est un artiste polymorphe qui se réinvente à chaque album, sur chaque titre. Jamais deux fois au même endroit, il va vite et court loin devant tout le monde.
Absolument impossible de le rattraper, lui seul doit savoir ce qu’il est entrain de fabriquer. Une musique folle, indisciplinée, indomptable.

« Little Wig », un titre « bigger than life », digne d’un des plus grands airs du Rocky Horror Picture Show, défroque sérieusement son monde. Cet artiste a l’habitude de toujours sortir de grands albums de pop casse-gueule, à la limite du supportable, qui font toujours hésiter entre l’artiste génial et le dingue irrécupérable. Par chance, « Round and Round » est un tube. Un tube des sous-sols, toutefois. Pas quelque chose pour se trémousser sur les dance-floors. Plutôt un hymne de salle de bain, putassier et aguicheur. Une immense chanson pop. Ça s’entend dans le refrain, ça crève les yeux et les oreilles. « Beverly Kills », quant à elle, est une enfant sauvage et hirsute, échappée d’un zoo et partie en vadrouille sur des chemins de traverses — on y entend même les hululements de Tarzan à la fin, véridique ! Une combine bubble pop incroyablement jouissive, funky et futée — sévèrement cinglée — qui ne se laisse enfermer dans aucune classification.
Sans aucun doute un des meilleurs titres de cet album.
On pourra regarder de toutes parts aux alentours, absolument personne n’écrit ce genre de dinguerie aujourd’hui.
Il faudrait peut-être convoquer l’artillerie lourde ; le Talking Heads de Fear of Music ou les débuts des Flamings Lips pour se remémorer ce type d’exploit.
Ariel Pink peut dormir tranquille, l’homme est actuellement seul sur ce terrain-là et ce n’est pas demain qu’on viendra marcher sur ses plates-bandes.
Clairement identifiée « rétro futuriste » et psychédélique – invoquant souvent tout ce que la teenpop sixties made in USA compte de freaks, de dingues et de génies, reprenant à son compte ici le « Bright Lit Blue Skies » des Ramrods – sa musique fait appel plus explicitement sur Before Today à un genre dont l’évocation seule fait frémir : le rock progressif.
Tous les trucs, les tocs et les clichés du genre y sont réunis. Cernés et scrutés par Pink qui tente ainsi d’apprivoiser la bestiole, qui n’échappe pas à sa méticuleuse dissection. Cette traque chirurgicale permet de mettre joyeusement en scène leur mise à mort, effleurant toujours la limite du mauvais goût, comme pour mieux en jouir et s’en amuser. Une fantaisie haute en couleur, grotesque et sublime à la fois. Combien se seraient déjà pris les pieds depuis longtemps sur « Can’t Hear My Eyes » ?

Il va sans dire que, pour jouer, ou plutôt rejouer ce genre de folie en concert, Ariel s’est entouré d’une solide équipe — les bien nommés Haunted Graffiti.
Une formation inébranlable, une vraie machine de guerre — il faut au moins ça — sur laquelle s’appuyer et qui, comme un seul homme, fait bloc autour de l’artiste, le soutenant suffisamment pour lui permettre de laisser s’échapper ses chansons par la grande porte.
Le jeune homme a enfin un groupe autour de lui à la hauteur de sa pop borderline.
Néanmoins, derrière ce foutoir ambiant et cette atmosphère de bordel organisé, il ne faudrait pas oublier que se cache un génial sorcier du son. L’imagination constamment en surchauffe, il se fait inventeur de mille combinaisons différentes et de savoureux mélanges de sonorités troubles qui rendent sa musique une des plus excitantes du moment. Qui sait où le co(s)mique Ariel Pink est capable d’aller la prochaine fois, et ce qui l’arrêtera ? Tout ce dont nous sommes certains, c’est qu’une kyrielle de fervents païens sont déjà prêts à accompagner cet extraterrestre les yeux fermés, loin dans sa galaxie.

– Page Myspace

– À écouter: « Round and Round »