Où le challenge de survivre à son propre chef-d’oeuvre est en passe d’être brillamment remporté.


Avec You & Me, The Walkmen avaient certainement réalisé l’une des toutes meilleures productions de l’année 2008. Leur rock lyrique et ambitieux, mâtiné d’une noirceur perverse, touchait alors à l’élégance racée des plus grands.
C’est dire si Lisbon était attendu de pied ferme, ou plutôt d’oreilles impatientes et attentives, tant le groupe, à l’instar de leurs confères New Yorkais de The National, semblait dégager dans le petit monde de l’indie-rock un romantisme brut, une énergie du désespoir et un savoir-faire mélodiques hors-pair, littéralement loin devant les autres.

Si You & Me s’étirait en longueurs admirables et en sombre magnificence, que la pochette elle-même reflétait à merveille, Lisbon, à la teinte claire, l’accroche limpide et à la durée maîtrisée, se pose peut-être avant tout comme le lumineux inverse de son prédécesseur. De bout en bout. De part en part.

Lisbon commence effectivement là où You & Me finissait : les premiers morceaux font la part belle aux sons clairs et incisifs des guitares, à la batterie millimétrée de Matt Barrick, quand la voix de Hamilton Leithauser commence déjà à envoûter, promenant l’auditeur dans les méandres habités de ses complaintes. La mécanique qui s’installe sur “Blue As Your Blood” est symptomatique du talent du quintet à bâtir de sublimes chansons : au tic-tac de la batterie répond celui de la guitare qui construit une ossature solide et fière. Le lyrisme de Leithauser va bientôt ouvrir la porte aux cordes avant une explosion contenue, mais salvatrice. Ce morceau est un condensé de l’oeuvre des Walkmen : aisance rythmique au service de la mélodie et des arrangements, adresse et savant dosage de l’effort, comme dans les parties toujours discrètes de l’orgue qui apparaît au loin, pour mieux nous hanter de son absence par la suite. Sans jamais sombrer dans le pompier pathétique, même dans les moments les plus exacerbés que traversent les parties vocales.
Par la suite, le groupe inverse la tendance vers des morceaux plus emphatiques et moins enlevés, avec l’introduction de cuivres et de chants qui ne sont pas sans rappeler le talentueux Elvis Perkins. En guise de voyage initiatique à travers la Lusitanie, c’est en fait une descente vers les racines du blues et du rock’n’roll, fanfare qui tangue sous le soleil pour soutenir ce chant éraillé, qu’offre “Stranded” comme un magnifique salut aux origines !

The Walkmen progressent ainsi, au fil de l’album, entre savoir-faire impressionnant sur les morceaux les plus rythmés — l’excellent “Woe Is Me” et ses arpèges finaux — et des plaintes plus lentes, plus intimistes, comme l’illustrent les trois derniers morceaux du disque, qui écartent ce penchant incisif et tranché pour calmer les débats et peut-être — à regret ? — redessiner l’horizon créatif des New Yorkais. Ne serait-ce ce léger défaut — ces trois dernières chansons sont magnifiques, mais leur enchaînement en fin d’album casse la dynamique identitaire du groupe –, The Walkmen peuvent d’ores et déjà prétendre sans rougir, comme il y a deux ans, aux plus hautes places des podiums de fin d’une année presque morose, si podium il y a.

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