Après Rifts, un condensé de la majeure partie de ses travaux antérieurs, le musicien électronique Daniel Lopatin livre aujourd’hui Returnal, un album dense et radieux.


Difficile en ce moment de passer à côté de la musique de Daniel Lopatin, alias Oneohtrix Point Never, récemment entendue à la Géode à Paris en première partie de Manuel Göttsching, lors de la cinquième édition de la Villette Sonique. Si l’intérêt pour le musicien électronique ne cesse de croître et si les chroniques abondent, ces dernières n’hésitent pas à le placer, avec d’autres, dans une grande agitation contemporaine, qui se définirait comme un « retour » à l’analogique, à travers la redécouverte des sonorités psychédéliques, majoritairement allemandes, des années 70 et 80. À cela s’ajoute le fait que le dernier album de Lopatin, sorti chez le prestigieux Editions Mego, s’intitule Returnal, un titre qui s’incorpore sans difficulté à cette aura de nostalgie et de magie qui gravite autour des compositions du jeune américain.

Quoi qu’il en soit, les interprétations semblent converger vers cette idée générale que la musique de Oneohtrix Point Never travaille profondément son auditeur et cela d’une manière répétée, comme si chaque humeur y trouvait son compte différemment et singulièrement selon le contexte. Du côté de la création, une telle détermination, aussi banale soit-elle, prend une certaine importance si l’on pénètre davantage dans la pratique du musicien américain, quand il affirme par exemple que Returnal est influencé par l’écoute de la radio et les rêves réalisés endormi devant une télé allumée. Lopatin ajoute également qu’il a été enregistré en banlieue, un lieu calme pour quelqu’un qui, a priori, « est habitué à beaucoup de bruit ». Loin d’un quelconque romantisme qui comprend la transcendance et la dépossession de soi comme des lois immuables de la création, on voit l’imagination puiser ici dans l’environnement immédiat, en y dévoilant sobrement un rapport toujours changeant et irrésolu.

Si tout cela n’explique en rien Returnal, il peut néanmoins donner matière à réflexion quant à la méthode de composition amorcée au sein de l’opus. Lopatin semble être soucieux de la forme « ultime » des morceaux et pour cela il n’hésite pas à les reprendre : la musique est ainsi selon lui « taillée dans la masse et sculptée ». En ce sens, “Nil Admirari”, qui ouvre l’album d’une manière chaotique, apparaît plus comme une matière brute que le musicien désire creuser avec exigence que comme un essai bruitiste déstabilisant, sortant ainsi de l’habituel. Vu sous l’angle d’une intention commune, cette ouverture indéfinie est décisive pour la réception de la suite, et il n’est pas étonnant d’entendre “Describing Bodies” faire surface lentement et subtilement, faisant corps avec ce bouleversement initial. Cela montre d’une certaine manière que la volonté de Lopatin n’est pas de surprendre son auditeur, mais de proposer une visibilité — et par là une lisibilité — à l’informe.

En ce sens, le son analogique permet d’avoir une souplesse du contenu, de manipuler les sonorités sur plusieurs niveaux et de façonner librement une substance hétéroclite, quitte à y revenir par la suite sur l’ordinateur. Ainsi, la véritable efficacité d’Oneohtrix Point Never n’est pas tant de nous plonger dans un passé révolu ou de nous faire re-découvrir un héritage musical jusque-là ignoré par la musique électronique. Returnal, aussi « fini » qu’il soit, est le résultat momentané, comme un arrêt sur image, d’un travail acharné, inachevé, qui repose sur une certaine idée de l’expérimentation, vécue et rendue non pas comme un concept ouvert à éprouver librement, mais plus comme un essayer, encore et toujours renouvelé : un retourner perpétuel.

– Le site officiel d’OPN

– La page myspace

– Lire le compte rendu du concert (Oneohtrix Point Never + Manuel Göttsching) à la Villette Sonique

– L’interview réalisé avec Daniel Lopatin par Wow Magazine(Juin 2010)

– A écouter : « Pelham Island Road »

Par ailleurs, Daniel Lopatin déconstruit les mélodies et travaille avec les images. Il réalise des vidéos sur Youtube sous le pseudonyme de sunsetcorp:

« Angel » :

« Nobody Here » :