Dans la lignée de Pink Flag et Chairs Missing, ce treizième opus studio confirme la créativité unique d’un groupe jamais avare d’une réinvention.


Près de trente-cinq ans après la sortie de Pink Flag, les anciens clients de la boutique « Sex » de Malcolm McLaren (et maintenant leurs enfants, voire petits-enfants…) continuent de se déchirer à coup d’épingles à nourrice, et pas pour des frusques anti-mode en soldes. Au menu des débats, une controverse comme le rock les aime : Wire est-il un groupe… punk ? Le combo, pourtant peu expérimenté à ses débuts, avait d’emblée fait montre d’un sens de la mise en place incontestable, d’un goût prononcé pour l’expérimentation et d’une sophistication incisive dans ses textes. Peu de caractéristiques intrinsèques que l’on retrouvera collectivement en passant le reste du mouvement au peigne fin, The Clash excepté. Enfonçant le clou, les anciens étudiants en art de Watford ont eu l’occasion de rejeter toute parenté avec Sid Vicious et d’avouer que l’estampille punk hâtivement apposée par la critique leur avait surtout mis le pied à l’étrier discographique.

C’est peut-être parce qu’il s’est déconnecté des modes et a su s’aménager des plages de pauses régénérantes que Wire est en mesure de proposer, aujourd’hui, ce Red Barked Tree si affûté . L’oeuvre au titre arboricole est taillée dans une écorce de la même couleur que celle du fer avec lequel on doit la marquer. Troisième livraison depuis le retour aux affaires en 1999, cet opus consacre le cheminement organique entamé avec Object 47 (bien accueilli en 2008). Il ravive ainsi dignement les mânes du légendaire Chairs Missing (1978), plus que celle de son successeur 154 (1979), sans nullement constituer une resucée surgelée trop vite réchauffée.

Le ton est donné dès le titre introductif, « Please Take », sous l’emprise d’une marque de fabrique familière : une six-cordes incisive matinée de chorus aux motifs répétitifs, en symbiose avec les voix doublées de Colin Newman. La monotonie de façade de ces dernières, dans une veine en service depuis The Idea Copy (1987) et fil rouge de l’album, cache mal une plume toujours trempée dans un acide brûlant, prompte à dénoncer en vers concis et codés la trahison, la lâcheté et les travers du monde («Please take your knife / Out of my back ! / And, when you do / Please don’t twist it !»).

L’influence de la scène, sur laquelle le groupe excelle toujours, a certainement transpercé les parois du studio, balayant également les claviers, quasiment débranchés. En résulte une succession de manifestes courts au son brut et direct, exécutée en moins de quarante minutes hermétiques, et dont le dépouillement s’avère redoutable. Les déflagrations urgentes (« Now Was » ; « Two Minutes ») s’opposent aux moments d’apesanteur (« Adapt » ; « Down to This »), tout en épousant des décharges d’aphorismes grinçants (« Moreover » ; « A Flat Tent »). Le sentiment d’oppression et de claustrophobie ne s’évaporera pas, même sur un dernier titre au tempo ternaire inédit, ballade déviante portant à la fois le titre de l’album et… le coup de grâce: «The market growls it eats the weak / Buys children farms in busy streets».

Avec Red Barked Tree, Wire reste ainsi fidèle à sa permanente ligne de conduite en porte-à-faux avec le surplace, sans jamais craindre le flirt avec l’hostilité. On rappellera, à cet effet, le moment fondateur que représenta un concert de l’hiver 1980 à Camden Town où l’inclusion de performances situationnistes avait suscité, au sein d’une assistance aussi éméchée que déstabilisée, une tension beaucoup plus dangereuse que lorsque Bob Dylan avait électrifié sa guitare au Free Trade Hall de Manchester en 1966… Le groupe conjugue ainsi une fusion de ses meilleures heures avec une indéniable énergie abrasive et renouvelée. Et Colin Newman de mieux le résumer : « Wire always manage to sound like Wire, even though there’s no actual brief that says what Wire are supposed to sound like. »

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