The King of Limbs atteint le summum de Kid A et Amnesiac, et attise encore (comment est-ce possible? ) l’appétit pour Radiohead.


Le dernier Radiohead aura, encore une fois, fait parler de lui, ne serait-ce que par le simple fait d’avoir été annoncé seulement quelques jours avant sa sortie, prenant tout le monde par surprise. C’est, à présent, un fait accompli : on privilégie désormais le lien qui unit l’artiste au « consommateur » (oh le vilain mot) exclusivement par l’internet, histoire de déblayer ce qui pourrait amenuiser ce lien. Par conséquent, le terme « fan » (pas moins vilain que « consommateur ») prend ici tout son sens. En effet, on le responsabilise par la démarche consistant à se rendre sur le site, à commander l’album, et enfin à le télécharger, tout en se sentant privilégié, toutes choses jouant un véritable rôle novateur dans la relation musicale. Les labels (XL recordings pour l’Europe), même micro, qui auraient pu (dû ?) tirer leur épingle du jeu, sont relégués à la portion congrue, et n’auront droit à la galette marchande que beaucoup plus tard (fin mars, soit plus d’un mois de retard). Le pire, c’est qu’on imagine que XL recordings s’est battu et se battra bec et ongles pour ne pas perdre cette fonction, pas très reluisante, où les rôles ont été totalement inversés.
Enfin, que penser de cette heureuse surprise, pour ceux qui ont commandé « la chose » : la primeur de la réception, 24 heures avant tout le monde, et surtout avant la date prévue lors de l’achat. Si ce n’est pas fidéliser sa clientèle ça ? C’est le b.a.-ba du marketing : donner l’impression que le client est roi.

Voilà donc le disque téléchargé, légalement bien sûr (on se demande d’ailleurs quelle sera la part que prendra la piraterie ici), à un prix cette fois-ci fixé à l’avance. Modique, certes, mais non plus laissé, comme ce fut le cas pour In Rainbows , au bon vouloir de l’acheteur (pardon, du téléchargeur). On a donc tiré certains enseignements de cette innovation, qui fit tant de bruit dans le monde musical.

The King of Limbs comporte 8 titres, « seulement », se dira-t-on dans un premier temps, pestant sur la valeur quantité-prix du paquet. Comme quoi, la démarche de Radiohead, qui se veut une alternative au bête achat dicté par de méchants messages publicitaires conçus par des cadres dynamiques sortis des meilleures écoles de commerce et ayant fait leurs armes dans les finances ou le pharmaceutique (ouf, on reprend son souffle et son calme), ne cesse de soulever des questions sur la relation marchande, cette satanée valeur commerciale, que l’on a tant de mal à associer à la culture, immatérielle par définition.

The King of Limbs comporte donc huit titres. Tambours battants… A-t-on droit au Radiohead que les nostalgiques attendent depuis plus de dix ans ? Le Radiohead rock, toutes guitares hurlantes ? Ou suit-on la dispersion généralisée – pour ne pas dire la confusion des genres – entamée avec Hail to the Thief. Oh pitié, diront d’autres, surtout pas la période Kid A, Amnesiac, The Eraser (album solo de Thom Yorke) qui aura marqué l’histoire, non du rock, mais de l’electro. C’est cette dernière approche qui semble la plus appropriée. Et quel bonheur.

Faisant partie de ceux qui apprécient Radiohead depuis ses débuts, et qui applaudissent les choix artistiques dira-t-on modernes, ou risqués, enfin, bref, qui ne se contentent pas du minimum syndical, et essaient des voix et des voies nouvelles. Tout comme Björk, avec qui il a déjà collaboré, Thom Yorke, être tourmenté à fleur de peau et en option continue, cherche et se cherche dans les sons les plus distordus, distordants, espérant trouver la musique de son âme. La bonne nouvelle, c’est que cela ravit nos oreilles, nos sens, mais aussi, et surtout, notre intellect. « You’ve got some nerve coming here » chante Yorke d’une voix que l’on sent énervée, et qui rappelle à notre bon souvenir que les meilleures œuvres proviennent de ses états d’âme tourmentés, voire schizo. Le titre de l’album, des chansons et les paroles, sans parler de la pochette (on est loin de celle, ignoble, de In Rainbows), sont autant de traces indélébiles de cet état de fait.

Les boucles, propres à la musique électronique, donnent plus que jamais une teinte tribale, qui rend la musique très hypnotique et hypnotisante. C’est un voyage extrêmement planant, dont on ne ne se réveille, abasourdi — abruti devrait-t-on dire — qu’à la fin du dernier titre. Et de ressentir un manque qui ne disparaît que sur le mode Repeat. On sent, indéniablement, mais peut-être davantage qu’auparavant, une certaine touche trip-hop, qui donne à l’ensemble une majesté exquise. La voix de Thom Yorke n’a jamais été aussi bien habillée, habitée, entourée. Une grande sérénité envoute l’album. A tel point qu’on l’écoutera tel un placebo.

Le site de Radiohead dédié à The King of Limbs

– En écoute : « Lotus Flower »