Un trio rock séminal signé sur le label expérimental Kranky, la carte de visite est plutôt inhabituelle. A l’évidence, Disappears n’est pas un groupe comme les autres.


De quoi susciter une vive curiosité. Surtout lorsqu’un certain Steve Shelley officie actuellement derrière les fûts.

Jeudi 17 février dans les loges du Point Éphémère, salle parisienne installée sur les quais du Canal Saint Martin. Une date à marquer au fer rouge, car ce n’est pas tous les jours que l’on a l’occasion de saluer Steve Shelley, soit le quart de Sonic Youth. Croyez-le ou non, nous avions d’abord cru croiser un roadie poli tant l’homme est discret. D’ailleurs, le batteur préfère ne pas participer à l’entretien, afin de ne pas faire dévier certaines questions vers son « autre » groupe…

Fomenté autour du chanteur et leader du groupe Brian Case (ex 90 Day Men, The Ponys), le bassiste Damon Carruesco et le guitariste Jonathan Van Herik, Disappears génère une catharsis binaire des plus hypnotiques. Un rock anxiogène, stupéfiant monument de dissonance, où sont régurgités avec talent krautrock, Velvet Underground, The Fall et Suicide… Après un impressionnant premier album, « Lux » paru voilà deux ans, leur tout nouvel opus, « Guider », intensifie leur quête d’expérimentation noise : six plages seulement, dont une odyssée cauchemardesque de 15 minutes. À travers ce jeu d’influences, nous avons soumis au groupe l’exercice du blindtest, auquel il s’est prêté volontiers.

The Fall – Green Eyed Loco-Man (Country on the click, 2002)

Brian Case : (15 secondes passent, puis dès la voix de Mark E. Smith) The Fall. Pas très difficile pour l’instant. Ce morceau est sur quel album ?


Pinkushion : Country on the click. Sur votre nouvel album, Guider, le premier morceau sonne terriblement comme The Fall, surtout sur le plan vocal.


Brian Case, Disappears, février 2011


Brian Case : : The Fall est sans conteste une influence. Je ne connais pas tous les albums du groupe, seulement les premiers. Mais j’aime beaucoup l’attitude de Mark E. Smith et sa persévérance. D’une certaine manière, sa musique ne s’inscrit pas toujours dans le même style, mais elle développe les mêmes idées de répétition, et minimalisme. Le premier bassiste, qui joue sur Grotesque (1980) et dont je ne me rappelle plus le nom, car The Fall a beaucoup changé de musiciens, a une façon de jouer qui m’a aussi foncièrement marqué.


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Keith Fullerton Whitman – “track3a(2waynice)” (Playthroughs, 2001)


Pinkushion : Attention, piège !

Brian Case : Je ne vois pas. C’est un disque sur Kranky non ? Est-ce que c’est Pan American ? Ah, je vois. J’ai pourtant écouté cet album, Playthroughs mais bon, ces bourdonnements restent difficiles à identifier (rires). Kranky est un label que j’ai toujours respecté. Notre groupe n’est pas vraiment assorti avec l’idée qu’on se fait généralement de ce label. Notre musique est en quelque sorte plus traditionnelle que celle de beaucoup d’autres groupes signés sur Kranky. Mais nous avons tout de même en commun cette volonté de nous focaliser sur des idées précises. Nous tendons à élever notre musique à un certain niveau cérébral et sonique.


Pinkushion : Étiez-vous étonné d’avoir été approché par un label comme Kranky ?


Brian Case : Nous leur avons envoyé le premier album, puis ils sont venus vers nous. Lux a fait l’objet de nombreuses discussions… Le label aimait beaucoup l’album, mais c’était un disque étrange à sortir sur Kranky, pas vraiment dans l’esprit ce qu’ils font normalement. Et puis nous en sommes arrivés à la conclusion que tout le monde était réciproquement fan, que ce soit du label ou du groupe, et que c’était une raison parfaitement valable pour sortir l’album !


Damon Carruesco, Disappears, février 2011

Pinkushion : Quels autres groupes écoutez-vous sur Kranky ?

Brian Case : Beaucoup de choses. J’aime beaucoup l’album d’Atlas Sound, Let The Blind Lead Those Who Can See But Cannot Feel (2008), qui est le projet solo de Bradley Cox (Deerhunter). Le dernier album de Tim Hecker et de Benoit Pioulard sont également fantastiques. Il y a aussi ce nouveau groupe que je recommande chaudement, Implodes, leur premier album va sortir au printemps. Ils sont aussi originaires de Chicago. Et aussi Belong, dont l’album paraitra également dans ces eaux-là. Tous ces groupes sont aussi bons que Stars of the Lid (ndlr : groupe phare du label), bien que totalement différents. Chacun a une manière intéressante de faire de la musique.

Pinkushion : Pensez-vous avoir élargi l’audience de Kranky, à la manière de certains nouveaux groupes signés sur Warp ?

Brian Case : Pas vraiment. Je veux dire, le label a déjà sorti des disques plus « rock » avant nous. D’autres seront signés, on verra ce qui se passera.

Damon Carruesco : Il ne faut pas oublier que par le passé, Bowery Electric était aussi un groupe Kranky. Leur rock était assez proche du nôtre, assez crossover.

Bedhead – « Haywire » (What fun is life, 1994)

Brian Case : Cela sonne super bien, qu’est-ce que c’est ? Je n’ai jamais écouté Bedhead, mais j’ai toujours aimé leur Artwork (rire). Par contre, j’ai vu une fois en concert The New Year (ndlr : le projet actuel des frères Kadane). C’était plutôt cool, il y avait quatre guitaristes sur scène, tous jouaient exactement la même chose, le son était plutôt impressionnant.

Pinkushion : Bedhead était un groupe signé sur le label Touch &Go, ce qui vous fait un point commun avec eux. Sauf que vous avez été le dernier groupe signé dessus.

Brian Case : C’est ce que tout le monde dit, mais à la vérité, nous n’avons pas vraiment signé. Quelqu’un de Touch & Go est venu nous voir jouer, et il aimait le groupe. Nous étions sur le point de signer, nous avions enregistré un album pour eux. Le jour « J », où nous attendions leur coup de fil pour parler des derniers détails du contrat, ils ont annoncé que Touch & Go arrêtait de signer des groupes (rire). Heureusement, nous avons signé par la suite chez Kranky.

Pinkushion : L’album est finalement sorti un an plus tard.

Brian Case : Cela a pris un an pour que l’album sorte, mais seulement six mois entre les évènements avec Touch & Go et Kranky.


Pinkushion : Une situation frustrante…

Brian Case : Oh oui. C’était frustrant car nous étions un groupe depuis peu de temps, les choses alors allaient vite pour nous : on avait enregistré notre premier album et nous étions très excités de le sortir sur Touch & Go. Et puis tout d’un coup on reçoit ce coup de fil. Ce fut un coup dur, et une situation étrange. Mais, aujourd’hui, je suis heureux de la tournure actuelle des choses.

Fugazi – Blueprint (fugazi live series)

(Les trois instantanément ) : Fugazi !

Pinkushion : Il y a manifestement unanimité !

Brian Case : Fugazi fait un peu office de passeur pour tout le monde. L’un des premiers groupes que l’on écoute issu du milieu underground et qui est différent. Le genre de groupe qui te fait prendre conscience qu’il existe une autre musique susceptible de t’intéresser. Plus jeune, les premiers groupes que j’ai commencé à écouter faisaient partie de cette scène qui ne passait pas à la radio. C’était très important à mes yeux. Et on continue d’écouter leurs albums dans le van.

Deerhunter – « Desire Lines » (Halcyon Digest, 2010)

Brian Case : Deerhunter. On les connait bien. Nous avons tourné ensemble il y a deux ans à nos débuts, pour une poignée de concerts. On a passé de bons moments ensemble. Un très bon groupe.


John Dwyer : Particulièrement sur scène. Leurs concerts sont meilleurs que leurs albums.

Suicide – « Cheree » (first album, 1974)

Brian Case : Suicide, facile.


John Dwyer : Une influence. Pour la répétition et la tension qui se dégage de la musique, cette urgence. Pour cette sorte d’anxiété qu’ils arrivent à capter, cette pulsation du cœur qui bat très vite. Je pense que notre musique parle aussi beaucoup de cette anxiété.


Brian Case : Il n’y a pas de vocaux non plus chez eux. Suicide est certainement la raison pour laquelle j’essaie de chanter de cette façon. Mark E. Smith et Alan Vega, tu parles d’influences pour un chanteur! (rires) J’ai joué pour Suicide il y a très longtemps avec un précédent groupe. Et ils étaient adorables, mais très mauvais. Le concert était, à vrai dire, affreux. (rire)

Damon Carruesco: J’aimais bien la chanson de M.I.A. samplée sur « Ghost Rider ». Cette chanson a tellement été samplée…

Velvet Underground – « White Light White Heat » ‘1968)

Brian Case : Encore un classique et une grande influence sur le groupe. C’est aussi le nom du groupe de notre ami Matthew Clark, White Light. Nous avions sorti ensemble un split single, et c’est aussi lui qui nous présenté à Steve Shelley lors de cet enregistrement. Coïncidence, Matthew est aussi ce soir sur paris, il joue des claviers pour le groupe d’Iron & Wine, qui passe à l’Alhambra. Peut-être irons-nous le rejoindre après notre concert (sourire).

Vous avez un invité d’exception pour cette tournée, Steve Shelley. Quel effet cela fait de jouer tous les soirs avec un batteur de légende ?

Brian Case : C’est très étrange, on se pince pour ne pas rêver. Steve est un batteur immense, très mélodieux. Et humainement un type vraiment adorable, facile à vivre et, qui plus est, heureux d’être là.

John Dwyer : Le fait qu’un mec de son statut passe son temps dans le van avec nous, pour jouer dans des petites salles, prouve que c’est quelqu’un de généreux. C’est un ami avant tout.

Damon Carruesco : Nous avons toujours eu des batteurs différents, mais Steve est le meilleur.


Steve Shelley, février 2011


Pensez-vous recruter un nouveau batteur dans le futur ?


Brian Case : Pour l’instant, les projets que nous avons en tête sont avec Steve. On prévoit de faire d’autres concerts ensemble, et puis enregistrer. Lorsque Steve sera de nouveau occupé avec Sonic Youth, nous trouverons un nouveau batteur. Mais pour l’instant, Steve est à nous (rire).

Tortoise – TNT (1998)

Brian Case : Encore un groupe que nous connaissons bien, avec qui nous avons tourné à nos début.


Pinkushion : Et un groupe phare de la scène de Chicago, dont vous êtes originaires.

Brian Case : Chicago est une ville très agréable, très stimulante pour la musique, il y a beaucoup de groupes. Seul bémol, les loyers sont relativement chers, bien que ce ne soit pas comparable à New York. Mais c’est une ville très étendue, et on peut y vivre facilement sans avoir beaucoup d’argent. Je dirais que la qualité de vie est meilleure qu’à New York.


Damon Carruesco : Par ailleurs, trouver un local pour répéter est moins onéreux, on peut, par conséquent, passer plus de temps à faire de la musique. C’est aussi un endroit stratégique pour tourner aux États-Unis, plus facile pour aller en Californie ou à New York, par exemple. Depuis New York, c’est plus compliqué pour aller en Californie.
John Dwyer : Chicago est une ville plus humble que New York. Je ne peux parler pour les habitants de Chicago, mais ce que je ressens personnellement à son sujet, c’est que c’est une ville honnête, les gens y travaillent dur.


Jonathan Van Herik, Disappears, février 2011


Avez-vous des connexions avec d’autres groupes locaux ?


Brian Case : nous proches de groupes comme Implodes, mais aussi des membres de Tortoise. Nous sommes amis avec eux. Nous partageons notre local avec deux autres groupes locaux. A chacun de nos concerts en ville, des amis viennent jouer et d’autres sont dans la foule. On switche (rires). Nous nous soutenons mutuellement, c’est important.

Top 5 albums Disappears :

Velvet UndergroundWhite Light/White Heat

Ganf of FourEntertainment!

Lower DensTwin Hand Movement

TelevisionMarquee Moon

The Smiths S/T

Disappears – Guider EP (Kranky/ Differ-ant]

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