Le songwriter anglais s’émancipe sur un premier album aux allures de classique pop.
“Le garçon qui accompagne Alex Turner dans les Last Shadow Puppets”. Jusqu’ici, c’est à peu près à cela que se résumait Miles Kane pour beaucoup d’entre nous : un second couteau plutôt doué mais sans génie, condamné à évoluer éternellement dans l’ombre de son glorieux camarade de jeu. Pourtant, à l’heure où, pour la première fois, Alex Turner semble accuser une baisse de régime sur le nouvel opus en demi-teinte de ses Arctic Monkeys, nous sommes amenés à réviser notre jugement. Car, si les travaux solitaires du jeune anglais, des éphémères Little Flames aux sympathiques Rascals (un album chez Deltasonic, et puis s’en va…) ne nous avaient pas laissé de souvenir impérissable, la donne change avec ce premier album publié sous son propre nom. Un disque comme on n’osait plus en attendre de la part d’une scène pop britannique à l’inspiration en berne depuis trop longtemps. Un disque qui passerait facilement pour une compilation de singles, tant chaque morceau sonne comme un tube potentiel.
D’entrée de jeu, « Come closer » donne le ton d’une écriture à la classe incroyable. Porté par un gimmick de guitare qui s’empare de votre mémoire pour ne plus la lâcher, « Rearrange » frappe encore plus fort et nous convainc que nous sommes en présence d’un disque important. Une ballade lennonienne (« My fantasy ») et un charmant duo avec l’actrice Clémence Poesy (« Happenstance ») plus loin, Miles décoche une flèche d’amour qui pourrait transpercer bien des cœurs cet été : « Quicksand », composé avec l’aide du Super Furry Animal Gruff Rhys, est une merveille de pop sixties ensoleillée qui colle parfaitement à l’arrivée des beaux jours.
Ne se refusant décidément rien, avec une confiance en lui propre aux plus belles plumes grandies sur les rives de la Mersey River, notre ami se permet même d’aller tutoyer les intouchables The Coral, modèles évidents de ce songwriting au classicisme intemporel, sur un « Kingcrawler » au psychédélisme envoutant, chanté comme si sa vie en dépendait. C’est cette même impression que l’on retrouve tout au long de ce Colour of the trap de haute volée : celle d’un artiste jouant son va-tout, comme porté par une inspiration plus forte que lui. La même qui, en d’autres temps, avait pu porter d’autres jeunes loups britanniques persuadés d’avoir leur place au panthéon de la pop made in Albion. (Noel Gallagher, pour qui ce genre d’écriture touchée par la grâce n’est plus qu’un lointain souvenir, fait d’ailleurs une apparition sur « My fantasy »).
On comprend alors un peu mieux ce qui rendait l’album des Last Shadow Puppets tellement magique : si le talent d’écriture de son jeune acolyte n’est plus à démontrer, il est évident que Miles Kane possède lui aussi de solides arguments, et une culture de la pop anglaise (on pense ici à Marc Bolan, à Paul Weller…) qui fait de lui un autre héritier de cette fascinante tradition nationale. On pourra certes reprocher à Miles Kane de ne jamais s’aventurer hors des sentiers battus, et d’être trop « anglocentré ». Il sera pourtant difficile de résister à cette succession de classiques pop instantanés. Car à une époque où le format album est sans cesse dévalorisé par les nouveaux modes d’accès à la musique, Colour of the trap à quelque chose de réconfortant. Mais peut être que le fringant jeune homme a un peu triché, c’est vrai : là ou d’autres courent pendant toute leur carrière derrière un hypothétique tube, lui se permet de publier, en guise de premier album, ce qui apparaît comme un véritable best of…