L’ex ermite qui soignait ses peines de coeur au fin fond des forêts du Wisconsin joue désormais collectif sur un second album qui signe son émancipation. Radieux.


Y a-t-il une vie après For Emma, Forever Ago ? tel était la question pour Justin Vernon, folkeur solitaire derrière l’alias Bon Iver et grande révélation de l’année 2008 au moment d’envisager son second album. Le songwriter du Wisconsin s’est retrouvé confronté au même dilemme artistique qu’Arcade Fire ou Elvis Perkin : Peut-on surpasser une telle œuvre exutoire, émotionellement exténuante, miroir d’une étape charnière de sa vie (la séparation et l’autarcie, le deuil…) ? La réponse se trouvait déjà dans For Emma, Forever Ago, car ce disque était en fait une lettre d’adieu, un après-Emma. Artistiquement, une page était tournée, il fallait explorer une autre voie.

Ainsi, Justin Vernon ne retournera pas dans sa cabane isolée du monde extérieur. For Emma, Forever Ago lui a ouvert les portes d’une reconnaissance publique inespérée, et surtout, une liberté artistique sans limite. En refusant de jouer le personnage du songwriter solitaire, il s’est révélé aussi habile qu’imprévisible pour choisir ses collaborations (de Peter Gabriel à Kanye West, en passant par ses autres projets plus aventureux avec Vulcano Choir et Gayngs).
Pour l’auditeur de la première heure de For Emma, Forever Ago, écouter son successeur peut en premier lieu s’avérer un choc. Ce second album sans titre engage une volonté de ne pas rentrer dans la case « lo-folk » qu’on lui avait attribuée. Aux antipodes de son premier essai sédentaire, Vernon s’est entouré cette fois d’une cohorte de musiciens élogieux : Colin Stetson (de la nébuleuse canadienne Constellation, Arcade Fire), Mike Lewis (Andrew Bird), C.J. Camerieri (Rufus Wainwright, Sufjan Stevens…), sans oublier les compagnons de tournée Sean Carey, Mike Noyce et Matt McCaughan. Les arrangements, foisonnants, sont quant à eux cosignés avec Rob Moose (Antony And the Johnsons, The National), ainsi qu’avec les camarades de Volcano Choir, Jim Schoenecker et Tom Wincek.

Sous l’égide de ce quasi-orchestre, Bon Iver frappe d’abord par l’approche hybride de chaque composition : nappes synthétiques cliniques, cordes de violons, lapsteel et cuivres se rencontrent, cohabitent loin du son âpre, boisé, du premier album. Sur « Minnesota, WI », la mue de Bon Iver prend une tournure stupéfiante sur un phrasé vocale aux inflexions hip hop. Sur ce même morceau, une mandoline introduit l’apparition de chœurs célestes, élevant la mélodie vers des hauteurs insoupçonnées. Après la forêt, bienvenue sur les montagnes russes de Bon Iver.

Rétrospectivement, le mini-album Blood Bank EP préparait déjà ce terroir en creusant les contours d’une orientation moins folk, vers un désir d’expérimenter d’autres champs atmosphériques, mais aussi le chant. L’usage nouveau et prépondérant des claviers déroute d’abord, les oreilles doivent s’habituer avant de succomber progressivement. La curiosité et l’excitation l’emporte, on veut savoir comment cette voix, toujours aussi renversante, prend possession de cet environnement nouveau et mouvant. Pour que la magie opère, il va sans dire que les mélodies sont là, essaimées de manière aussi furtive qu’intense, même si elles paraissent dissimulées par l’instrumentation. Pour quelques rares excès de production (« Calgary », bardé de claviers sortis tout droit d’un CD de Peter Gabriel) se côtoient de nombreux moments de grâce inouïs : comme « Perth » et son entrée en matière échevelée, ou encore les pop songs méditatives « Tower » et « Michicant ». Quant au bouleversant « Holocene », il rivalise déjà avec « Re : Stacks », pique émotionnelle de For Emma.

Venons-en alors au dossier le plus délicat, « Beth Rest », l’ultime morceau de l’album. Ce morceau a dû faire douter les leakers compulsifs sur la qualité de leur téléchargement sauvage. Raison incriminée : un chewing-gum new wave qui ferait même rougir le pianiste des 80’s Bruce Hornsby. Ce morceau, objet de longs débats pour bon nombre de fans, Justin Vernon dit au contraire l’assumer complètement. Aussi attractive ou répulsive qu’elle soit, cette étrange conclusion est habitée d’une émouvante nostalgie des années 80, qui nous transporte loin de la neige du Wisconsin pour les plages de Miami Vice ou le clip MTV « Boys Of Summer » de Den Henley. On comprend alors que tout comme Destroyer, Justin Vernon est un compositeur qui refuse de se prendre trop au sérieux. Assumer ses goûts, quels qu’ils soient, aide à rester d’une honnêteté indéfectible. Tel fut le prix à payer pour que Justin Vernon retrouve sa grâce.

Bon Iver – « Perth »