Second album très ambitieux de ce quintet américain. Une folk panoramique sertie d’arrangements crépusculaires. Hanté.


« Dompteur d’animaux », le titre donne un petit indice sur la teneur de cet album… C’est qu’il faut certainement avoir la patience d’un dresseur d’ours pour orchestrer la folk philarmonique d’Other Lives. Son maître d’œuvre, Jesse Tabish, voix, compositeur et multi-instrumentiste accompli, est habité d’une vision musicale si ambitieuse qu’elle dépasse largement le cadre de son quintet. Du moins instrumentalement, tant la dimension symphonique est ici très prégnante. Une partition dense, voilée d’une brume qui suggère des mystères insondables et (justement) plusieurs vies. Une musique qui donne envie d’en apprendre davantage sur les histoires de cette formation, ainsi que ses motivations.

Hormis une date à la route du rock cet été et un concert parisien passé presque inaperçu (au lendemain de Rock en Seine) Other Lives est parvenu jusqu’ici à entretenir son mystère dans l’hexagone. Le premier album (suivi d’un E.P.) paru en 2008 est passé complètement inaperçu en Europe. Jusqu’à ce second, que personne n’a vu venir, et qui propulse brusquement le groupe vers le palier supérieur. Originaire de Stillwater (Oklahoma), le quintet a lentement fomenté son son durant cinq ans, avant de se lancer et d’opter pour un nom, Other Lives. On dit que leur musique était alors uniquement instrumentale – tendance post-rock – chose guère étonnante à l’écoute des montagnes oniriques gravies sur cet album.

Pour ce genre de groupe, l’enjeu consiste à éviter de forcer le trait. Une vigilance constante est de mise, tant l’équilibre entre mélodie et lyrisme est précaire. Là réside justement la qualité première de Jesse Tabish : la sophistication de ses arrangements (violons et cuivres, augmenté d’harmonium, chœurs, et autres cloches et gongs) ne dévie en rien le caractère très personnel, voire grave, des compositions. On est très loin des velléités conquérantes d’un Mercury Rev (post Deserter’s Song, cela s’entend). Aucune opulence déplacée sur Tamer Animals, seulement une belle voix grave couchée sur des orchestrations très scénarisées qui suivent le fil d’une écriture affectée.

Cinématique, le mot revient souvent à l’écoute de Tamer Animals. Cordes et cuivres donnent vie à un climax brumeux où rode une armée de fantômes (les cordes hantées de la magnifique ballade « For 12 » et la mémorable exode « Landforms »). On a un peu tendance à l’oublier dans la pop, mais un orchestre peut aussi sublimer l’aridité, voire l’épure. L’exemple s’illustre à merveille sur « Desert » »,où l’empreinte du maestro Ennio Morricone, champion inégalé dans ce registre, est perceptible. Sauf qu’ici on serait précisément plus proche du blizzard mortel du Grand silence de Corbucci, que des westerns opéra de Sergio Leone.


On aime à penser que l’album propose deux niveaux de lectures : une première, où l’écriture mélodique se veut presque classique – les cinq morceaux rangés en tête rivalisent particulièrement de beauté. Et puis une deuxième plus écrite et mise en scène, tel un mouvement de musique classique. Ce second acte aurait pour décor nocturne un bois à la végétation baroque et impénétrable, grouillant d’animaux furtifs et d’ombres.

Fort de ce second album d’une maîtrise stupéfiante, Other Lives vient de faire une entrée très remarquée dans la catégorie des nouveaux parangons de la folk orchestrale, à cheval entre la boiserie progressive et mélancolique de Midlake, les nuances noir/blanc d’un Timber Timbre, et en lointain cousin canadien, les épopées tragiques de Silver Mount Zion. Derrière l’arbre se cache une forêt symphonique.

Other Lives – « Tamer Animals »


Tamer Animals by Other Lives
– Le site intéractif dédié à l’album