Wilco revient avec son disque le plus cohérent depuis l’acclamé Yankee Hotel Foxtrot.


Près de dix ans après un changement de cap radical et salutaire (l’insurpassable Yankee Hotel Foxtrot) qui les a définitivement propulsés dans la catégorie des groupes majeurs de notre époque, les Américains de Wilco réalisent un nouvel acte fort d’insoumission. Désormais séparé du label Nonesuch, qui faisait paraître ses disques depuis A Ghost is born (2004), le groupe possède aujourd’hui sa propre structure, dBpm Records. Une démarche qui souligne le besoin constant de liberté d’une formation intransigeante, trop longtemps prisonnière d’une étiquette « alt-country » écrasante et réductrice. Les œuvres successives du groupe, parues durant la dernière décennie, ont en effet démontré que Jeff Tweedy et ses camarades avaient certainement beaucoup plus en commun avec quelques ambitieuses formations européennes éprises d’indépendance qu’avec les gardiens traditionalistes de l’héritage country folk nord-américain.

Enregistré par le groupe au Loft, son propre studio situé à Chicago, ce huitième album fait suite à un disque éponyme qui semblait marquer le retour à un certain classicisme. Si ce choix pour la simplicité pouvait parfois s’avérer plus que payant (« You and I », amoureusement duettisé avec Feist, ou l’ensoleillé « Sonny Feeling »), le résultat (un disque un peu trop linéaire) avait provoqué une légère frustration auprès des admirateurs les plus exigeants du groupe. On se retrouvait, il est vrai, bien loin des abstractions sonores parfois éreintantes de l’ère Jim O’Rourke. Avec le recul, et à l’écoute de ce nouvel album tant attendu, on se dit pourtant que le groupe a beaucoup appris de ce retour passager aux plaisirs simples de l’immédiateté.

Les premiers instants de The Whole Love auront de quoi surprendre. « Art of Almost » démarre ainsi au son d’une électronique minimale qui rappelle Radiohead période Kid A, avant l’entrée en scène d’un Jeff Tweedy tout en sobriété. À mi-parcours, le morceau part à la dérive, porté par les sonorités abrasives d’une guitare en liberté. On se dit alors que le groupe va nous rejouer la partition déstructurée de Yankee Hotel Foxtrot. Première impression immédiatement contredite par la mélodie insidieuse à l’orgue farfisa de « I Might », premier single envoyé en éclaireur cet été (via un 45 tours qui aura fait office de première référence du label fraîchement créé). Un morceau presque léger, traversé par une simplicité très garage-rock qui irriguera par ailleurs d’autres temps forts du disque (« Born Alone », « Standing O »).

Mais les passages les plus marquants de The Whole Love sont probablement ceux où la vulnérabilité de Jeff Tweedy, auteur tourmenté en lutte incessante contre ses propres démons, reprend le dessus. Quelques notes de clavier et une guitare aérienne suffisent ainsi à plonger la saisissante « Sunloathe » dans un univers rétro-futuriste rongé par une mélancolie semblable à celle qui hantait le Sophtware Slump de Grandaddy. Un écrin magnifique pour les paroles bouleversantes d’un chanteur inconsolable : « I don’t want to lose this fight, I don’t want to end this fight, Goodbye… ». Une ambiance prolongée un peu plus loin par « Open Mind », folk-song peut-être la plus classique du lot et sorte de retour à la rusticité des premiers albums du groupe, ou « Black Moon », balade au charme vénéneux sublimée par la guitare steel du prodigieux Nels Cline et un violoncelle tout en retenue.

The Whole Love est le parfait résumé du savoir-faire d’une formation qui, un peu à la manière des Byrds ou des Beatles (l’influence de George Harrison, en particulier, est ici plus que jamais évidente), aura su concilier hautes exigences artistiques et succès populaire, tentations expérimentales et goût pour l’instantanéité. On se dit surtout que Jeff Tweedy s’est entouré du groupe idéal pour donner forme à ses visions si particulières. Les douze minutes en apesanteur du final « One Sunday Morning », splendide confession accompagnée par quelques notes de piano et les arabesques d’une guitare acoustique, constituent une bouleversante conclusion à un disque qui restera comme l’un des sommets d’une discographie essentielle.

– Le site officiel de Wilco.

– Le clip de « Born Alone » :

Wilco – Born Alone from Madmo on Vimeo.