En virtuose de la composition et de la mise en son, Lambchop ajoute une pièce maîtresse à son œuvre admirable. Moelleux sans être mielleux.


Une caresse de cordes, le bruissement des ballets sur la batterie de Scott Martin, les notes légères du piano de Tony Crow. Puis la voix inimitable de Kurt Wagner, aussi douce que cagneuse, chantant « Don’t know what the fuck they talk about Maybe blowing kisses, blowing » …
Bienvenue au sein de Mr. M (pour Mr. Met, mascotte de l’équipe de baseball des New York Mets), onzième publication de Lambchop, le groupe le plus réconfortant qui soit depuis son premier album en 1994. Nashville, Tennessee, berceau de la country, dont Lambchop a toujours offert une vision progressiste, incluant des variations pop, folk, soul, jazz ou issues de la musique orchestrale. Tout ce que l’on retrouve peu ou prou aujourd’hui en écoutant ce disque hommage à l’ami Vic Chesnutt, suicidé le jour de Noël 2009.

Avec Lambchop, on a souvent l’impression d’être devant un feu de cheminée, les flocons neigeux tombant en silence derrière la fenêtre. Une mélancolie chaleureuse, une étreinte aimable, quelques regards bienveillants. Il n’est pas dit que l’on ne s’endorme pas, bienheureux comme un enfant rassuré par les lieux et l’atmosphère, confortablement vautré dans un canapé enveloppant.
En fait, la musique de Lambchop a plus que jamais des étoiles dans les yeux, entre larmes de joie et larmes tout court. Comme cette fameuse voix parfois étranglée (“Kind Of”) et toujours vibrante de Wagner. Une émotion retenue du bout des cordes, une pudeur purement élégante.
On peut même avancer que Mr. M contient et sublime tout l’art feutré et émotionnel de Lambchop. Cette façon si particulière d’occuper l’espace, de produire une texture sonore à la fois concrète et flottante, autant ancrée dans la vie que source de rêveries. D’apparence sépia et nostalgique, la musique de Lambchop est bien actuelle, comme parsemée de frémissements électro, sans savoir s’ils sont réels ou fantasmés. Peut-être simplement l’effet d’une maîtrise parfaite de l’écho, due au sorcier méticuleux Mark Nevers.

La progression mélodique de “If Not I’ll Just Die” offre une impression de langueur dérivante, faussement badine, certes relaxante mais toujours au bord d’un trouble secret porté par des violons jamais sirupeux. « 2B2 » suit et c’est une merveille de justesse et d’équilibre. Une mélancolie inondée de lumière consolante ; l’amour en fuite, peut-être. Musique en fuite, certainement, comme au beau milieu de “Gone Tomorrow”, espace rendu à la vie sauvage, clairière vertigineuse pas loin des pistes interstellaires du Miles Davis de In A Silent Way, toutes proportions gardées. Ces trois minutes nous emportent loin, au sein d’un paysage bruissant de détails en parfaite harmonie.

La suite de l’album déroulera de cette inspiration céleste, combinant tous les éléments de la noble musique populaire américaine. Dans chaque morceau nous croiserons Brian Wilson (“Gar”, sa basse onctueuse et ses ruptures rythmiques dociles) conversant avec Frank Sinatra, tous deux détendus dans le sofa, ou encore Lee Hazlewood partageant un verre sous la véranda avec Burt Bacharach. Tout du long nous serons portés par l’alchimie musicale stupéfiante d’un groupe qui touche au génie sans en avoir l’air. À l’image de l’instrumental “Betty’s Overture”, court métrage exaltant une fascinante émotion, prolongée par la conclusion “Never My Love”, également subtile.

Long en bouche, luxuriant, léger et profond, Mr. M est un album que l’on écoutera en ces moments où nous avons besoin de nous consoler ou, au contraire, lorsque nous sentons que nous touchons à l’accord parfait. En cela, Lambchop demeure un groupe à chérir, un groupe ami.

Lambchop – « Gone Tomorrow »