Le Bristolien Nick Talbot revient sur la laborieuse genèse de son cinquième album, The Ghost in Daylight, disque d’un nouveau départ.


Un après-midi ensoleillé de Mars à Paris. Le rendez-vous est pris dans une adresse de vêtements branchée où s’est également installée la boutique éphémère de Rough Trade. Sur les lieux, nous avons le privilège d’assister à une mini-session acoustique en solo filmé pour le site. Rien de tel pour patienter ! L’apparence du Bristolien s’est un peu étoffée, mais sa gentillesse et la grâce de sa musique sont intactes, comme en témoigne le superbe Ghost in Daylight. Il dit se souvenir de notre rencontre précédente à la Maroquinerie il y a cinq ans, et garde un souvenir amer du concert, le son n’étant pas à la hauteur. Avis que nous ne partageons pas. Ce fut un concert mémorable. Ah ! Ces perfectionnistes !

Pinkushion : La question que tout le monde se pose est … pourquoi avoir attendu cinq ans avant de sortir la suite de The Western Lands ?

Gravenhurst : Le premier album de Gravenhurst est paru en 2000, mais j’ai commencé à composer des chansons en 1995. À l’époque, j’étais dans un groupe de rock qui s’appelait Assembly. Mais mon ami Lou qui jouait aussi dans le groupe est mort dans un accident de voiture, et le groupe s’est arrêté. Par la suite, beaucoup de chansons de Gravenhurst, étaient à l’origine de Assembly, comme « Dawn River » et « She Dances ». La musique était prête, je n’avais plus qu’à me pencher sur les paroles. Lorsque j’ai commencé Gravenhurst, j’avais donc déjà beaucoup de chansons en stock. Quand The Western Lands est sorti en 2007, l’album contenait encore de la musique qui remontait aux années 90. C’est la première fois que j’écris un album exclusivement composé de nouvelles chansons. J’étais à sec, je ne pouvais plus compter sur mes vieilles ressources. Aussi, j’ai traversé une « blank » période…

Parallèlement, j’ai aussi beaucoup tourné et suis tombé souvent malade. J’ai été contraint d’annuler certaines dates en raison de ma santé, c’était épouvantable. J’ai attrapé une infection à la gorge. Avec le groupe, j’essayais de chanter très fort. On jouait des morceaux assez puissants, comme « Songs From Under The Arches » (sur Fire Distant Buildings, 2005), et ma voix ne pouvait plus le supporter. Lors des trois tournées qui ont suivi, chaque fois j’attrapais une infection à la gorge… Lors d’un concert à Berlin en 2008, ma voix est tombée en morceau, quelqu’un a filmé la performance et me l’a montré. C’était horrible. Elle doit toujours circuler sur YouTube… Bref, j’ai commencé à ne plus apprécier les tournées, car c’était une bataille constante avec ma voix. J’ai donc décidé de me séparer de mon groupe.
Ces quatre dernières années, j’ai uniquement joué en solo. Enfin, j’ai aussi attrapé un virus, le Epstein Barr. Voilà pourquoi j’étais dégoûté et malade tout le temps. Il y avait donc beaucoup de raisons… Je ne savais pas si j’allais enregistrer un nouvel album et apprécier de le jouer en concert. Mais j’ai toujours continué à écrire un peu, tout en ne sachant pas ce que j’allais faire. J’avais besoin d’une pause. Voilà la réponse courte, j’avais besoin d’un break. Si vous composez seul, il faut du temps pour composer un album. Voyez, le mec des Shins, il n’a pas enregistré d’album pendant cinq ans.

Ce n’est pas exactement vrai. Il y a eu entretemps l’album de Broken Bells avec Danger Mouse…

Ah oui , c’est vrai (rires). Ceci dit, j’ai aussi fait d’autres choses comme Exercice 1, un side project ambient.

Nick Talbot, Gravenhurst, mars 2012



Étrangement, il y a une continuité dans les ambiances avec The Western Lands, excepté le fait qu’il n’y a pratiquement pas de distorsion rock à proprement parler. Cela ressemble à un album solitaire, enregistré à la maison.

Tout à fait. J’ai toujours eu en tête d’enregistrer un album ambient par mes propres moyens. Mais aussi un album que je pourrai interpréter seul sur scène, ou avec un groupe si je le désirais. Je savais que si je devais former un nouveau groupe, celui-ci serait calme. Ce que j’ai finalement fait, et nous donnerons notre premier concert à Paris en avril (ndlr : l’entretien remonte au 20 mars). Avec le recul, je pense que j’ai écrit semi-consciemment des chansons pour le groupe lors de l’enregistrement. Seule la piste de batterie sur « The Prize » a été enregistrée en studio, mais le reste de l’album a été joué et enregistré par moi.

Et en effet, il y a une continuité avec The Western Lands, en termes de sons et de bruits. Il n’y a effectivement pas de distorsion, ou du moins elle est mixée très en retrait, ou prend l’apparence de drones. Mais je vois ce que vous voulez dire. C’est définitivement un album plus calme.

Avez-vous travaillé de nouveaux sons et instruments pour ce nouvel album ?

Oui. Je suis dans une constante recherche de sons que l’on ne peut pas identifier. Vous savez, lorsque vous écoutez pour la première fois My Bloody Valentine et ses guitares avec ce son incroyable, quasi-impossibles à refaire. La première fois aussi que j’ai écouté The Flying Saucer Attack, je n’arrivais pas à croire que ce son provenait d’une guitare électrique. J’ai toujours essayé de créer des sons qui donnent l’impression de mouvement, sans qu’on puisse reconnaitre l’instrument. Je ne peux pas révéler tous mes secrets, mais j’ai effectivement abordé de nouvelles techniques (rires).

« In Miniature », une des plus belles chansons de l’album, se présente complètement nue, avec une seule guitare.

Il y a seulement une guitare et deux pistes vocales sur ce morceau. Il y aussi un synthétiseur mixé très en retrait, un de mes petits secrets de fabrication, qui procure un effet discret de scintillement. C’est certainement l’album le plus nu sur le plan sonore que j’ai pu réaliser. La chanson Islands contient exclusivement des parties d’orgue. Une autre, « Peacock », est un instrumental totalement acoustique. En comparaison Flashlight Seasons était également un disque très folk, mais avec beaucoup de traitements sonores. Ce nouvel album comporte quelques une des mes chansons les plus dépouillées.

Votre voix est assez grave sur certains titres de l’album, est-ce en raison de vos problèmes médicaux ?

Je chante très bas en effet, mais je n’ai jamais eu une voix très solide. Je l’ai testée pendant des années sur scène… je sais ce que je peux faire, et ce que je ne peux pas. Je sais la placer de manière à ce qu’elle soit dans une condition, disons, confortable.

Crédit photo : Marie Genin



« Islands » est un titre un peu à part sur l’album, tourné vers la musique ambient, minimaliste. Toutefois, la mélodie demeure une assise fondamentale dans votre approche d’écriture.

Absolument. C’est intéressant car lorsque j’ai commencé à travailler sur Islands, j’étais juste en train de pianoter sur mon orgue. Sur toutes les pistes, j’ai utilisé un orgue. Par la suite, j’ai pensé que ce serait uniquement un morceau instrumental, un peu dans la lignée de mon projet parallèle Exercice 1. Et puis j’ai réalisé que la mélodie commençait à prendre forme, j’ai donc décidé de rajouter des vocaux. Lorsque je l’ai fait écouter à Michelle, ma manager, elle trouvait que ça sonnait comme une chanson de Gravenhurst. Quand je l’ai incluse au reste de l’album, je pensais que les gens la trouverait ennuyeuse, trop « électronique ». Mais personne n’a fait de commentaire. En fait, ce n’est pas vraiment electronica, dans le sens où j’ai utilisé un vieil orgue. C’est plus un morceau électrique qu’électronique. Mais la façon dont j’utilise la même réverb sur les autres morceaux, notamment acoustiques, confère à l’ensemble de l’album le même espace, en quelque sorte.

Est-ce difficile pour votre part de mélanger des sonorités électroniques avec d’autres acoustiques ?

Non, vraiment. Je suppose que ce qui se passe lorsque je commence à faire de la musique, c’est que si le résultat va dans la même direction, je le garde pour mon projet. S’il va dans une direction différente, ce sera pour un autre projet. C’est aussi simple que ça.

Ces cinq dernières années, qu’avez-vous écouté ?

Lorsque l’album Untrue de Burial est sorti, j’ai vraiment pris une claque. Il a reçu beaucoup de critiques très élogieuses et est devenu très hype, d’habitude je me méfie. Et puis j’ai écouté l’album et je me suis dit, « Putain de merde ! Il le mérite ! » (rire). Il a laissé tout le monde derrière en termes de sons. Je m’y suis tout de suite retrouvé, les atmosphères de Gravenhurst s’en rapprochent. Pas en termes de beats, mais de bruit et des textures, ce « White Noise » (bruit blanc). J’ai aussi beaucoup écouté Elliot Smith. Et pour être honnête, ça ne m’a pas trop aidé car il a placé la barre tellement haut… ça m’a apporté davantage de doutes qu’autre chose et rendu les choses plus difficiles. Ces chansons sont tellement sophistiquées et brillantes. Malgré tout, j’ai continué…

L’album de Burial a un petit côté Trip Hop, et donc Bristol, d’où vous venez.

Ces cinq dernières années, j’ai beaucoup écouté de dance music à nouveau. J’y suis retourné grâce à Burial et la scène Dubstep, alors que je n’en écoutais plus du tout. Bristol est une scène très fertile avec des labels comme Tectonic ou encore Caravan… Des choses merveilleuses sont apparues.
L’année dernière je n’ai pas écouté du tout de nouveaux groupes, car lorsque je suis en phase de mixage de l’album, il faut que je me focalise sur ma musique. Ce n’est que récemment que je m’y suis remis, j’ai notamment découvert Field Music en concert, un groupe impressionnant. Un des meilleurs groupes Anglais, mais ils ne sont hélas pas si connus que ça.

Excellents disques en effet, et les frères Brewis sont particulièrement bons sur scène !

Oui, je les ai vu il y a quelques sur scène en Angleterre, ils sont très impressionnant. Ils changent d’instruments, jouent même de la batterie. Quand je les ai vu, je me suis dit dans ma tête « mon dieu, je ne pratique pas assez l’instrument ! » (rire). Ils ne font jamais d’erreur ! J’aime aussi beaucoup Dead Mellotron, un groupe américain signé sur le label anglais Sonic Cathedral (ndlr, également le label des frenchies Yeti Lane en Angleterre). Ils ne sont pas connus du tout, mais leur mini-album est génial. C’est très noisy, ils ont une sensibilité pop mais très lo-fi, à la Jesus & Mary Chain. Quoi d’autres ? Light of Shipwreck, de l’ambient sur quatre-pistes, assez noisy également.

Cinq années en arrière, je vous avais demandé vos cinq albums favoris de tous les temps. J’aimerais savoir si vos goûts ont changé depuis…

Ah ah ! Qu’est-ce que j’avais donné comme groupe ? Mes goûts changent tout le temps. En ce moment même, franchement je ne saurai pas par où commencer.

Bon, je vous aide, il y avait The Smiths, Loveless de My Bloody Valentine…

En ce qui concerne les Smiths, choisir un seul de leurs albums est tellement compliqué…

Justement, vous n’en aviez pas choisi un particulièrement, mais plusieurs morceaux. Il y avait aussi Hüsker Dü, Liege & Lief de Fairport Convention, et The Red House Painters.

Hum, c’est plutôt bon comme sélection, je ne la renie pas (rire). Mais à vrai dire, je n’écoute plus ses disques, à l’exception de Liege & Lief que j’ai justement réécouté récemment. Plus vous écoutez de musique, plus c’est difficile d’en faire. Mais c’est plutôt une bonne chose, car je me suis remis à écouter de la musique récemment, et mes goûts changent. Je suis curieux de savoir ce que je pensais d’Hüsker Dü à l’époque, ça me donne envie de m’y replonger à nouveau.

Savez-vous que Bob Mould rejoue actuellement aux Etats-Unis Copper Blue en intégralité sur scène ? Une date est même annoncée à Londres en juin.

(Soudainement enthousiasmé) Non ! Je l’ignorais ! Sugar, quel groupe ! Et le Beaster EP aussi, quel grand disque ! Merci pour l’info, j’en serai.

Gravenhurst, The Ghost in Daylight (Warp)

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Crédits photo : Marie Genin