Isn’t Anything et Loveless auraient été impossibles sans quatre mini-albums précurseurs, You made me realise, Fade me with your kiss , Glider et Tremolo . Retour sur la réédition de ces EPs, toilettés dans un mastering impeccable, décapant.


Fin des années 80. Le rock se javellise et une nouvelle génération de jeunes branleurs choisit d’en reconsidérer l’impureté originelle. Aux E.U, Sonic Youth et Dinosaur Jr optent pour la déflagration sonore. Du côté des îles britanniques, The Jesus and Mary Chain et Cocteau Twins mettent la pop sans dessus dessous. My Bloody Valentine, combo pop plutôt classique fondé en 1983 par le sorcier du son Kevin Shields et son ami batteur Colm O’Ciosig, partage avec ces formations un même souci de saccage sonique avec force fuzz et saturation. En 1986, les irlandais s’installent à Londres et recrutent la bassiste Debbie Googe, puis la chanteuse Bilinda Butcher. L’année 1988 est cruciale : le groupe tape dans l’oreille du boss de Creation records, Alan McGee, qui les qualifie de « Hüsker Dü irlandais ». En juillet paraît le EP You Made Me Realise, puis Feed Me With Your Kiss en septembre, enfin l’album explosif Isn’t anything en octobre. Ce sont ces deux courts ainsi que le plus tardif Glider (1990) qui sont compilés sur le premier CD de cette réédition. Un parcours idéal pour appréhender l’évolution stylistique du groupe.

mbv-ymmr.jpg Le premier titre de You Made Me Realise, éponyme, dévoile donc les nouvelles orientations du groupe : alignements de sages couplets pop sur un mur sonique épais et vrombissant. Ensuite, une trouée de bruit blanc, et cet incroyable finale comme noyé dans le sifflement d’un avion au décollage. Hébété, on s’accroche au peu de repère restant, mais les lents « Slow » et « Thorn » ne sont pas plus rassurants. Les mélodies sont toujours à la fête mais les voix restent en retrait, comme écrasées par cette énorme basse qui surplombe tout. En arrière-plan, Shields entremêle boucles malades et lignes de guitares saturées dans un beau maelström rayé, insaisissable en une seule écoute. Le EP se ferme sur le très accrocheur « Drive It All Over Me », inspiration évidente pour la jeune génération noisy pop des 2010’s.

fedme.jpg Sur le deuxième EP Feed Me With Your Kiss, le propos s’enclenche nerveusement. Basse orageuse et martèlement rythmique règnent sur un « Feed Me With Your Kiss » pré-grunge. Shields et Butcher se relayent au chant, dont la place au mix est progressivement rétrogradée. Suivent deux titres au groove plus pop mais trempés dans un dense bain noisy, puis « I Need no Trust », une ballade au ton ouvertement velvetien. La formule singulière bruit/mélodie adoptée par MBV se concrétise alors sur le riche Isn’t Anything.

mybloodyvalentineglider.jpg L’évolution est sensible avec Glider, résultat de recherches sonores incessantes pendant un an et demi. Sorte de première préface au dantesque Loveless de 1991, ce mini album est un travail presque solitaire, où Shields teste ses boîtes à rythmes (le technoïde « Soon ») et tous les effets possibles de sa guitare (vibrato, écho, tremolo, etc.) La voix est encore plus éthérée, et disparaît même sur le carrément expérimental « Glider » (le 2e CD en propose une version de 10 minutes !) . Un grand tournant se profile.

tremoloEP.jpg Le deuxième disque permet la redécouverte du EP Tremolo (1991), accompagné d’une poignée d’inédits. Ce mini album pousse encore plus loin l’esthétique vaporeuse du groupe. Le fonds de l’air est psyché, sensuel, aérien. Sur « To Here Knows When » et « Swallow », la voix de B. Butcher est définitivement submergée. Sur « Honey Power », les boucles grésillent et les guitares virent au caoutchouc. L’esprit est mûr pour se lancer dans le pharaonique projet Loveless, point d’orgue et en même temps déclin d’un groupe alors en pleine hype. Pour conclure, Sony propose sept titres moins connus, faces B ou raretés, dont les escapades électro « Instrumental no.2 » et « Sugar ». Le disque se ferme sur trois agréables épopées noisy pop (« Angel », « Good for you », « How Do You Do »).

Ce double CD est un superbe présent, à la fois pour le fan et pour l’auditeur moins averti. Le travail de Kevin Shields sur le mastering est remarquable. Le packaging est réduit au minimum – artwork d’origine, zéro note de pochette – et permet de se centrer sur un seul sujet : la musique de MBV. Plus de vingt ans après, celle que Brian Eno décrivait comme « floue » reste définitivement d’actualité. D’une part du fait de la reformation du groupe en 2008, mais aussi parce que l’influence des Irlandais est primordiale sur nombre de formations pop ou bruitistes récentes, de Radiohead à A Place To Bury Strangers en passant par The Horrors ou The Pains of Being Pure at Heart. Programmée depuis 10 ans, cette réédition est l’occasion idéale de se replonger dans cette histoire et d’encrasser de nouveau nos oreilles assagies. Moyen de les préparer aussi à l’hypothèse d’un nouvel album, promis depuis lurette par le laborieux Kevin Shields.

My Bloody Valentine – « You Made Me Realise »

My Bloody Valentine – « Sugar »