Le trio australien sortira le 11 février son troisième album, le très attendu Homosapien. Une nouvelle étape cruciale dans ses passionnants calculs asymétriques electro-rock. Révélations.


A l’origine trio instrumental tendant vers le krautrock, PVT (ex-Pivot) a amorcé en 2010 une mue vocale spectaculaire sur son deuxième album, le monumental Church With No Magic. L’incursion du chant de Richard Pike à l’alliance déjà singulière de rythmes rock complexes et de traitements électroniques-rock co(l)difiés, stimula considérablement le cortex cérébral de la formation pour s’engager vers des perspectives sonores inédites et passionnantes. Church With No Magic, deuxième album pour le prestigieux label britannique Warp, recueillit des critiques dithyrambiques méritées. A tel point que Dave Miller (clavier, programmations) et la fratrie Richard (voix, clavier, guitares) et Laurenz Pike (batterie) ne purent échapper à la comparaison avec un autre trio emblématique de Warp, Battles et son mathrock catatonique. Grâce aux fructueuses nouvelles expérimentations accomplies sur Homosapien , PVT devrait s’affranchir définitivement du poids de ses ex-camarades de label – le trio australien a depuis rendu son contrat à Warp et signé chez Felt Records aux Etats-Unis.

Sur le magistral troisième opus à paraître début février, PVT se présente totalement désinhibé du chant, grâce aux possibilités offertes par les effets vocaux de Richard Pike. Ce dernier construit des harmonies de plus en plus intrigantes et audacieuses, servant de passerelles émotionnelles à la rythmique organique de Laurenz Pike et aux nappes sophistiquées de Dave Miller. Bien que respectueux du passé, il devient de plus en plus difficile de catégoriser cet univers sonore hybride puisant dans le Kraut, l’électro 80’s ou encore l’ambient. Chose certaine, PVT a l’honneur de lancer le premier album majeur de l’année.

Pinkushion : Vos deux précédents opus étaient parus sur le label Warp. Homosapien sortira sur Felt. Quelles sont les raisons de ce changement ?

Laurenz Pike : Survivre (silence). Nous étions en fin de contrat avec Warp. Sans trop donner de détails, nous n’étions pas heureux avec les termes de notre contrat. Ce fut un soulagement que de pouvoir partir. Ce n’est pas que tout était noir, nous avons eu de bons moments ensemble, mais sur le plan du business – aussi bien pour eux que pour nous – personne ne tirait profit de cette situation. En tant que groupe, si nous voulions survivre, il fallait partir.

Dave Miller : Cela n’a rien à voir avec la qualité artistique.

Richard Pike : C’est plutôt rassurant pour nous d’être désormais sur un label américain. On le vit un peu comme un nouveau départ. Warp est un label qui a une image culte et mystérieuse. C’est bien aussi d’exister en dehors de cette ombre un peu trop envahissante.

Laurenz Pike : On ne devrait pas exister sous l’influence de son label. Les gens ont limite tendance à penser que lorsqu’un groupe enregistre un disque chez Warp, c’est presque le label qui crée la musique. C’est l’artiste qui crée la musique ! Pour nous, c’est une progression naturelle que de faire évoluer notre musique dans les meilleures conditions. Le business de la musique est très tempétueux et imprévisible. Il faut savoir s’adapter constamment, bouger là où la vague nous porte.

Richard Pike : De nos jours, la situation est dure aussi pour des petits labels comme Warp. Même s’ils essaient de trouver une solution tant bien que mal pour s’en sortir.

Laurenz Pike : Tout le monde pense que Warp est important. Mais c’est un label indépendant qui connait aussi pas mal de difficultés.

Pourtant, on a tendance à penser que les labels indépendants de l’envergure de Warp s’en sortent actuellement un peu mieux que les majors.

Laurenz Pike : Non. C’est une idée fausse. Les labels indépendants souffrent plus que jamais, car le public de cette catégorie trouve la musique gratuitement sur Internet. Les gens qui écoutent Rihanna achètent toujours des CD en grande quantité, spécialement lors des fêtes de Noël. Ils achètent trois ou quatre CD dans l’année, dont le Coldplay et le Rihanna. C’est une période étrange pour la musique.

Richard Pike : D’où vient l’argent ? C’est toujours la grande question. Jusqu’ici, notre contrat ne nous permettait de vivre uniquement grâce aux tournées. On ne peut plus faire ça. Ça nous tue.

Dave Miller : Par exemple, nous avons tourné ces trois derniers mois avec Bloc Party, Gotye et Menomena (ndlr, l’entretien s’est déroulé au mois de novembre). Nous ne pouvions pas nous permettre de le faire chez Warp, à cause du contrat qui nous liait. Le fait d’être aujourd’hui indépendants nous permet d’élargir nos opportunités.

Richard Pike : Pour nous, accepter de partir en tournée un mois aux Etats-Unis nous engage à beaucoup de frais. Ce n’est pas facile, nous devons prendre de lourdes décisions avec notre manager. Mais nous sommes libres de le faire maintenant, si cela vaut le coup.

Laurenz Pike : Mais nous sommes restés en bon termes avec Warp. Tout le monde est plus heureux ainsi.

Dave Miller : En Australie, certains labels n’existent que par le biais d’un seul artiste. Cet artiste génère suffisamment d’argent pour financer le reste du catalogue.

« Shiver » le premier single dévoilé et la chanson qui ouvre l’album, est superbe. C’est aussi un morceau qui tranche avec le reste de l’album. Personnellement, il me rappelle un peu James Blake.

Laurenz Pike : Il y a des similitudes dans le moyen de développer des ambiances minimalistes, mais je dirai que c’est juste une question d’exploitation de l’espace. James Blake n’a pas peur d’utiliser des moyens très simples. C’est aussi ce qu’on aime faire. Pour moi, c’est l’aspect le plus puissant de sa musique.

Dave Miller : « Shiver » est certainement la chanson de l’album la moins concentrée sur la batterie et les percussions. C’était aussi un bon morceau d’introduction au reste de l’album.

Richard, la façon dont vous utilisez les effets de delay (écho) sur votre chant, est devenue en quelque sorte une signature. Le chant a encore pris de l’ampleur, avec des harmonies plus sophistiquées. Vous sentez-vous plus confiant ?

Richard Pike : Je suppose. Ecrire des chansons est devenu plus agréable pour nous sur cet album. Nous avions beaucoup plus d’idées au départ qui nous orientaient dans cette direction. Les effets vocaux que nous expérimentons sur disque découlent directement de nos concerts. Dave sample toujours mon chant sur scène, et c’est progressivement devenu quelque chose que nous faisons en studio. C’est intéressant que vous parliez de signature, certains musiciens ont peur d’en faire trop avec cet effet. Les musiciens redoutent d’être catalogués avec, par exemple, des groupes précurseurs comme Suicide qui en usaient, et bien sûr Radiohead, qui se le sont approprié d’une manière très personnelle. C’est pourtant un moyen amusant, voire excitant pour explorer d’autres voies. On utilise de l’électronique et des voix, alors pourquoi ne pas mélanger les deux. C’est logique.

Votre approche du chant tel un véritable instrument est un moyen à part entière pour développer des atmosphères. Mais vos paroles sont de ce fait assez difficiles à décrypter.

Richard Pike : J’aime qu’on utilise les paroles pour raconter une histoire, puis ensuite semer le trouble entre ce que fait David avec ses machines, les percussions de Laurenz et le traitement de ma voix. J’aime que nous soyons emmenés vers autre chose. On maîtrise de plus en plus cet aspect. Il faut faire attention de ne pas en faire trop. Si vous exploitez trop de couleurs en même temps, le résultat tourne au gris.

Laurenz Pike : Assurément, notre travail est plus solide comparé à Church With No Magic, où l’on se sentait dans une phase un peu… floue.

Richard Pike : Même si c’était délibéré !

Laurenz Pike : Cette fois, nous étions davantage conscients d’avoir des idées plus directes et davantage d’espace.

Richard Pike : Il fallait laisser la voix être une voix, de même pour la batterie. Ne pas trop tout camoufler.

Dave Miller : On peut rajouter autant d’éléments qu’on veut grâce à la technologie. Mais il est bon de savoir quand s’arrêter.

Richard Pike : On devient aussi meilleur dans l’art d’apprendre à s’arrêter.

Dave Miller : D’ailleurs, le prochain album sera presque silencieux (rires).

C’est la grande question qui se pose avec l’usage de la technologie : où faut-il s’arrêter ?

Laurenz Pike : Cela soulève une question sur le fait d’utiliser la technologie et le processus que cela implique. J’aime à penser que nous avons maintenu un bon équilibre en conservant une qualité humaine dans notre musique. C’est ce qui manque souvent à notre monde contemporain, je trouve. Les gens ont grandi en ayant accès aux technologies de pointe, mais le processus manque d’innovation. Trop de programmes régissent le son, la musique. C’est devenu trop facile. Les gens achètent de l’équipement pas cher, et peuvent faire du « post-dubstep » tout seuls dans leur coin. Tout le monde peut le faire maintenant.

Richard Pike : A vrai dire, nous n’aimons pas le dubstep (rire).

Laurenz Pike : Pour moi, ce style manque de profondeur dans son processus créatif, cette musique n’est pas dictée par un point de vue. Je suppose qu’elle est juste le fruit de boites programmées. On essaie pour notre part de garder certains principes : l’art de jouer d’un instrument, l’art de chanter, être conscient de l’histoire de la musique électronique. Peut-être sommes-nous démodés ? Mais ces éléments comptent pour nous. Attention, nous serions plus qu’heureux d’utiliser certains aspects du dubstep, mais à notre manière.

Richard Pike : On essaie d’aller outre la façon d’utiliser la technologie que nous employons. Mais nous avons aussi beaucoup de respect pour le passé.



De gauche à droite, Dave Miller (clavier, programmations), Richard (voix, clavier, guitares) et Laurenz Pike (batterie)



Vous avez enregistré l’album vous-même en Australie, avec l’aide de l’ingénieur Ivan Vizintin, puis le disque a été mixé par Ben Hillier (Blur, Depeche Mode…) à Londres. Ce sont deux différents pedigrees : le premier est jeune et quasi-inconnu, tandis que Ben Hillier est un producteur expérimenté et très sollicité.

Richard Pike : Nous voulions d’abord enregistrer l’album nous-même, dans une maison au milieu de nulle-part. On voulait y passer un mois, avec l’aide d’un studio portable, un peu comme les Rolling Stones (rires). Ivan a seulement 22-23 ans et c’est un ingénieur ainsi qu’un producteur très talentueux. Sans compter qu’il est aussi chanteur et compositeur. On cherchait une personne proche du groupe, avec qui on pourrait vivre durant tout ce temps passé dans cette maison, quelqu’un qui pourrait s’investir dans le groupe. Quelque part, c’était un pari de l’embarquer avec nous, car il n’avait jusqu’ici qu’enregistré de petits projets durant de courtes périodes de temps. Pour lui, enregistrer un album durant un mois, c’était nouveau. Mais il est fantastique, il a travaillé dur. D’un autre côté, quelqu’un comme Ben Hillier a une énorme expérience dans la prise de décisions musicales. Ses mix sont fantastiques. On a pris le meilleur des deux mondes : d’un côté la jeunesse, l’enthousiasme et l’énergie, et de l’autre, la connaissance, la sagesse. Et la vision !

Quels sont les disques de Ben Hillier qui vous ont incités à collaborer avec lui ?

Laurenz Pike : Une partie de son travail avec Depeche Mode évidemment.

Richard Pike : J’aime Think Tank de Blur. En fait, seulement la moitié de l’album. J’en ai parlé à Ben, il est d’accord sur ce point ! (rire) Il m’a répondu qu’il y avait des chansons dont ils ne savaient simplement pas quoi faire, ça partait dans tous les sens. Mais les chansons qui fonctionnent sont vraiment impressionnantes.

Laurenz Pike : On a aussi beaucoup parlé du processus d’enregistrement, et évidemment de Depeche Mode, car nous sommes de grands fans. On espère pouvoir travailler à nouveau avec lui dans le futur. Ce serait super.

Richard Pike : Son travail avec Depeche Mode est évidemment important, car nous étions intéressés sur la manière de marier du matériel live et électronique. Et il est vraiment un expert en la matière. Sur notre précédent album, la personne qui l’a mixé avait une sensibilité plus rock et on doutait beaucoup , car on voulait sonner « live ». On ne se focalisait pas sur la partie électronique mais plutôt la basse, la reverb. Cette fois sur Homosapien, on s’est vraiment penché sur les détails.

J’ai lu que le concept autour d’Homosapien était forgé sur la condition humaine.

Richard Pike : Oui. Je suppose que c’est une décision personnelle, on voulait que l’album soit plus intime. Church with No Magic est un album très sombre et froid, ce qui peut être excitant aussi, mais parfois trop grandiloquent. C’est probablement dur de l’écouter tous les jours, nous voulions cette fois quelque chose de plus accueillant, chaleureux et sensible. Donc, le concept de l’album parle aussi bien de ce qui se passe tout près de vous qu’à travers le monde. Par exemple, la chanson « Evolution », porte un regard sur un microcosme, comment les gens interagissent sur leur propre vie et comment les choses évoluent par la suite. Ce mot aussi, « Homosapien », sonne comme un musée, je trouvais ça parfait.

Est-ce que cette approche que vous vouliez plus « chaleureuse » s’est répercutée sur le choix des textures sonores ?

Peut-être bien. On aime la musique ambient, spécialement celle des années 1970, lorsque les synthés ont commencé à être abordables, l’usage de la technologie était très différent alors. Ce n’est pas que nous sommes obnubilés par tout ce qui est retro, mais il y a quelque chose de particulier que l’on trouve dans le son de cette époque, et qui s’est un peu perdu dans la technologie d’aujourd’hui, où tout est trop facile. Certains des vieux instruments étaient étranges à l’époque, ils ont un tempérament, un caractère propre.

Enfin, si vous deviez choisir vos cinq albums favoris durant l’enregistrement de Homosapien ?

RoedeliusWenn Der Sudwind Weht
John MausLove Is Real
David Bowie Scary Monsters
PortisheadThird
Depeche Mode Songs Of Faith and Devotion

PVT – Homosapien (Felt/ Modulor) sortie le 11 février

Extraits