La formation psyché-rock basée à Montréal raconte tout sur son nouvel album, le grandiose Until In Excess, Imperceptible UFO, chansons par chansons.


Huit nouvelles chansons, comme d’habitude. Sur son quatrième album, Until In Excess, Imperceptible UFO, le quatuor de Montréal emmené par Jace Lasek (guitare/chant) et par son épouse Olga Goreas (basse/chant) poursuit son obsession de la pop song épique, perchée et cosmique. Depuis The Besnard Lakes are the Dark Horses (2007) sorti sur le label Jagjaguwar, le groupe s’est distingué par des compositions s’étirant au-delà des cinq minutes, théâtre d’un crescendo spectaculaire où le merveilleux (arrangements oniriques, harmonies vocales enchanteresses…) convole avec des guitares titanesques, remontant l’histoire du rock seventies. Fruit de trois années de labeur, Until In Excess, Imperceptible UFO intègre de nouveaux ingrédients à ses compositions sans pour autant chambouler sa « signature », peaufinant son art appuyé par une mise en son de plus en plus vertigineuse, notamment grâce à l’expérience de Jace Lacek, dont les talents de producteurs se sont distingués sur le dernier album de Suuns.

Le rendez-vous est pris dans le salon d’un hôtel tranquille, non loin du quartier agité de Pigalle. Jace Lasek et sa compagne Olga Goreas semblent excités de parler de leur nouvel album, se prêtant avec plaisir au jeu de commenter leurs nouvelles chansons, avec plein d’anecdotes à la clé.

1. 46 Satires

Jace Lasek : Olga a jeté les premières fondations de ce morceau. Tout est parti de sa ligne de basse.

Olga Goreas : Nous avons commencé à écrire l’album à Besnard Lakes, un endroit où nous allons chaque été. C’est là traditionnellement que nous composons nos albums et c’est de là que vient le nom du groupe. Le morceau a beaucoup évolué entre son écriture et quand nous sommes rentrés en studio pour l’enregistrer, mais ma ligne de basse est restée sur la version définitive. En ce qui concerne les paroles, elles parlent de mon père, décédé il y a un an et demi. J’ai écrit cette chanson comme un hommage. Je suppose que cet évènement tragique a quelque part influé sur la teneur du disque. L’ambiance était très chargée émotionnellement.

Jace Lasek : C’est aussi la première chanson que nous avons écrite pour l’album. Spencer Krug (Wolf Parade) joue dessus. J’ai enregistré l’année dernière l’album de Moonface, l’un de ses projets parallèles. Il avait apporté en studio plein d’instruments exotiques comme des marimbas, des xylophones, des steeldrums, un vibraphone… Nous avons enregistré leurs prises en une journée, juste après que l’album de Moonface fut terminé. Mike Mike Bigelow, qui joue aussi dans Moonface, a notamment joué quelques parties noisy sur cette chanson avec un vibraphone et un xylophone branché sur un ampli à guitare.

2. And Her Eyes Were Painted Gold

Pinkushion : L’ambiance de l’album est parfois étonnement calme, rêveuse. Il y a bien sûr des moments épiques, mais les ambiances se font de plus en plus oniriques.

Jace Lasek : Nous n’avons pas vraiment prémédité les choses. Elles se sont révélées au fil de l’enregistrement. La seconde chanson, « And Her Eyes Were Painted Gold », était probablement la seule intentionnelle dans notre volonté de créer un morceau qui ne finisse pas en un crescendo. A force de bâtir et encore bâtir le morceau en studio, une partie calme a émergé, statique en quelque sorte. On voulait voir si on était capable de créer une chanson puissante qui n’avait rien à voir avec l’idée d’utiliser des grosses guitares. Cette chanson provient de deux différents morceaux. Ce fut vraiment difficile. Cela nous a pris une éternité avant de lui trouver une direction, pour que les choses s’assemblent naturellement. Nous l’avons accélérée, ralentie, découpée… On a tout essayé. En fait, on a failli ne pas l’inclure dans l’album. Et puis à la toute fin des sessions, quelque chose s’est finalement déclenché.

Olga Goreas : L’ajout d’autres instruments, comme les marimbas, ont contribué à fondre l’ensemble, à apporter une « tapisserie » différente.

Jace Lasek : Le titre contient des instruments que nous n’avions jamais utilisés avant (xylophone, theremin…). C’est aussi pour cela que nous avons pris autant de temps à enregistrer l’album, nous avons beaucoup expérimenté. Nous voulions utiliser des sonorités que nous maîtrisions parfaitement. C’est Mike Migelow qui joue des marimbas à la fin de ce morceau.



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3. People Of The Sticks

Pinkushion : Un morceau très spectaculaire. Certainement le point d’orgue de l’album.

Jace Lasek : Je suis d’accord. C’est aussi la chanson la plus ancienne qu’Olga a écrite. Le riff provient à l’origine d’un morceau plus développé, avec différentes parties. On l’a transposé sur une guitare douze-cordes. Le titre « People of the sticks » est en fait une expression pour les gens qui vivent dans ces petites villes, dans ces banlieues où il n’y a pas grand-chose à faire. Nous venons nous-même de ces endroits, nous y avons grandi. On parle de notre expérience, du fait d’y vivre, de tourner en rond, d’essayer de s’occuper, de trouver un moyen de rendre les choses excitantes.

Olga Goreas : Lorsqu’on est adolescent, on ne pense pas à un objectif en particulier, on veut faire plein de choses. C’est très spontané. Je vois cette chanson comme un regard nostalgique sur un moment où l’on se sent libre. En même temps, ces souvenirs étaient affectés par la mort de mon père. Mes textes en sont donc beaucoup imprégnés. C’est un acte humain normal que de se projeter dans son enfance, dans ces moments-là. C’est libérateur.

Le titre a-t-il necessité beaucoup de temps en studio ?

Jace Lasek : Une fois que nous avons posé les bases autour de cette longue chanson, tout est allé assez vite. On a pris la décision d’utiliser une structure pop presque traditionnelle – chose que nous ne faisons pas souvent – et à ce moment-là, nous savions que nous étions sur le bon chemin. Une fois la session enregistrée, nous n’y avons plus touché. On a seulement rajouté quelques harmonies vocales. L’essence du morceau était là, il n’y avait rien à faire de plus.

4. The Specter

Jace Lasek : Une très vieille chanson que j’avais enregistrée sur mon quatre-pistes. Elle date probablement du milieu des années 90 (sourire). C’était juste une pop song à la base. Olga l’avait entendue une fois, elle a suggéré qu’on l’enregistre. Je l’ai pas mal retravaillée, déconstruite… A l’origine, c’était un morceau acoustique que j’ai transposé au piano. Les paroles racontent l’histoire d’un fantôme qui hante une maison sur la plage. Un clin d’Å“il en quelque sorte à Brian Wilson. Le fantôme entend les gens marcher et s’amuser dehors, mais il ne peut pas sortir les rejoindre… car il n’est pas en vie !

Maintenant que vous le mentionnez, on peut effectivement entendre quelques clins d’Å“il au Beach Boys, notamment sur le plan des harmonies vocales.

Jace Lasek : Oui, c’est ma tentative de faire mon Surf’s Up (rires).

5. At Midnight

Jace Lasek : A l’époque, nous écoutions beaucoup Joe Walsh (ndlr, guitariste des Eagles). J’en étais complètement obsédé. Je voulais faire une chanson qu’il aurait pu écrire. Il est plus connu comme membre des Eagles, mais ses disques en solo sont fabuleux. On écoutait aussi beaucoup le groupe de stoner rock High on Fire. On a voulu rassembler ces deux idées. La fin du morceau est plutôt heavy et répétitive, on a usé d’un accordage en ré pour les guitares afin d’obtenir ce son pesant et puissant.

Jace Lasek : La harpiste Sarah Page joue sur ce morceau, ainsi que sur « Painted Gold ». Elle joue dans un groupe de Montréal qui s’appelle The Barr Brothers, des musiciens incroyables. C’est un peu ridicule, mais le fait de voir une harpe dans le studio était étrange, c’est un instrument superbe et tellement majestueux…

Olga Goreas : Et c’est surtout très lourd (sourire)

Jace Lasek : En fait, on voulait déjà avoir une harpe et un dulcimer sur le disque précédent, At the Roaring Night, mais nous étions à court de temps. Pour ce disque, nous nous sommes donné les moyens d’inclure ces instruments.

Je suppose que vous n’envisagez pas d’emporter une harpe pour la prochaine tournée…

Jace Lasek : Non, je ne pense pas, c’est trop encombrant (sourire). Nous sommes en ce moment en train de répéter les nouveaux morceaux. Nous sommes au point sur pratiquement tous les morceaux, à l’exception d’ « Alamogordo », le dernier titre de l’album. Lorsque nous rentrons en studio, nous n’avons aucune idée de comment va sonner sur scène la chanson tant qu’elle n’est pas terminée.

6. Catalina

Jace Lasek : Encore un morceau compliqué qui nous a pris beaucoup de temps. Celui-ci et Painted Gold, je les classe dans la même catégorie. Ce fut tellement compliqué de le terminer. Nous avions la première et la deuxième section du morceau, mais nous n’y arrivions pas. Jusqu’à ce qu’une troisième section s’impose, un peu dans le style Kate Bush sur le plan vocal.


Olga Goreas :
Notre guitariste, Richard White, a écrit les arrangements de cordes. On voulait quelque chose dans l’esprit de Scott Walker, des violons un peu dissonants.

Jace Lasek : Richard White nous a aussi sauvés sur « Painted Gold » en trouvant cette surperbe ligne de guitare atmosphérique, semi-arpégé. Une fois sa contribution gravée sur la première section du morceau, tout s’imbriquait parfaitement, je me suis dit c’est bon, nous le tenons.

7. Colour Your Lights In

Jace Lasek : Encore une chanson enregistrée très vite. Je l’ai écrite à l’aube. Je trainais seul dans le studio, passant la première heure de la journée à trouver une partie à la guitare. Le titre a été enregistré probablement au bout de sept ou huit heures. Après qu’il soit bouclé, on a enchaîné sur « People of the Stick ». C’est à ce moment-là que nous avons su que l’album était pratiquement terminé et qu’il ne nous resterait plus qu’une chanson à enregistrer. Je mets « Colour Your Lights In », dans la même catégorie que « Tom Petty ».

Olga Goreas : « Tom Petty » était en fait le titre de travail en studio de « People of the sticks ». On l’avait appelé ainsi à cause de la guitare électrique douze-cordes.

En général, les gens pensent plutôt à Jimmy Page pour cet instrument…

Jace Lasek : Carrément ! (rires) Je ne sais pas pourquoi j’ai pensé à Tom Petty, mais ça sonnait bien. En tous les cas, nous savions que nous étions arrivés au bout de ce disque, après trois années à travailler dessus.

8. Alamogordo

Jace Lasek : La chanson dure sept minutes. Et sur le vinyle, nous avons trafiqué le sillon pour que le groove ne termine jamais. La chanson continue éternellement (sourires). Cette chanson fut au départ le début d’un autre morceau que nous avons abandonné. Mais nous avons conservé la première partie. Sarah Page joue du dulcimer sur ce titre.
A cette période, j’avais lu un article sur le pire jeu vidéo de l’histoire, « E.T. l’extraterrestre » sorti en 1982 sur console Atari. C’était la première fois qu’un jeu vidéo s’associait avec l’industrie du cinéma pour un produit « marketé ». Les distributeurs du jeu avaient d’énormes attentes et ambitions après le succès phénoménal du film. Ils avaient commandé quelque chose comme cinq ou dix millions d’exemplaires, mais les ventes furent un four total, un vrai désastre. Personne ne l’a acheté. Du coup, ne sachant pas quoi faire de tous ces exemplaires non vendus, ils ont décidé de l’enterrer dans le désert au Mexique, un endroit appelé Alamogordo. Quelque part là-bas, il y a des millions d’exemplaires du jeu vidéo enterré dans le sable.

Très jolie histoire !

Jace Lasek : Un dernier point pour finir. Nous n’avons jamais dépassé huit chansons sur disque. On a essayé d’en avoir dix cette fois, mais nous n’y sommes pas arrivés.

Olga Goreas : A la vérité, techniquement nous avons dix chansons sur Are The Roaring Night, car deux compositions sur l’album contiennent elle-même deux chansons. Mais…

Jace Lasek : Nous ne voulons pas faire un album qui dure plus de 45 minutes, on estime que c’est bon pour le vinyle, et c’est une bonne longueur. Et puis comme nos chansons sont assez longues, on ne peut pas se permettre d’avoir trop de morceaux. On essaie d’enregistrer vite, on aime bien laisser des petites erreurs, si ce n’est pas trop flagrant. Il y a tant de disques de nos jours qui sont parfaits. Certains de mes moments préférés sur le disque sont mes erreurs. J’aime partager cette idée que nous sommes humains malgré tout.




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The Besnard Lakes, Until In Excess, Imperceptible UFO (Jagjaguwar/Pias)

En écoute, « People of the Sticks »